Mercure, DDT, dioxines, amiante…, la deuxième moitié du XXe siècle a été émaillée de crises sanitaires mais la prise de conscience a mis plusieurs décennies à se formaliser. L’OMS s’est saisie du sujet au début des années 1990 et a proposé une définition de la santé environnementale en 1994(1). La France, quant à elle, a présenté son premier Plan national Santé-Environnement (PNSE) en 2004. Aujourd’hui, quelles sont les évolutions notables ?
Début 2003, tout un collectif de scientifiques de France et du Québec publiait « Environnement et santé publique – Fondements et pratiques », un ouvrage de plus de 1000 pages qui allait rapidement devenir une référence dans le domaine. Présentant les principes et méthodes ; la contamination des milieux, l’exposition des populations et les risques sanitaires ; les effets nocifs sur la santé des polluants de l’environnement puis les pratiques en santé environnementale, cet ouvrage a été mis à jour en 2023. Car si la qualité de l’air, de l’eau et des sols, la contamination alimentaire, les rayonnements, les odeurs, le bruit, les catastrophes naturelles et accidents technologiques, les zoonoses ou encore les contaminations sur le milieu du travail restent d’actualité, d’autres thématiques sont apparues ou se sont renforcées ces vingt dernières années. C’est notamment le cas des nanomatériaux, des perturbateurs endocriniens, des ondes électromagnétiques (en particulier avec la téléphonie mobile et les écrans). Sans oublier les dérèglements climatiques et leurs différents impacts sur la santé. Cette nouvelle édition revient aussi largement sur l’approche « One Health / Une seule santé »(2) et sur le concept d’exposome(3) apparus récemment.
Une évaluation des trois premiers PNSE
En 2022, le Haut Conseil de la Santé Publique a dressé un bilan des Plans nationaux Santé-Environnement lancés en France de 2004 à 2017 (soit les PNSE 1 à 3). Les auteurs du rapport appellent à agir vite pour améliorer la qualité de l’air (« la pollution atmosphérique reste une problématique majeure de santé publique », « il est donc important d’accélérer les mesures pour diminuer les niveaux de pollution non seulement les pics mais surtout la pollution de fond »). Ils préconisent également de renforcer la prise en compte des risques émergents (nanomatériaux, ondes électromagnétiques, perturbateurs endocriniens) mais aussi celle des expositions multiples aux polluants (effets cocktails). Ils montrent par ailleurs la nécessité de développer les connaissances des effets sur la santé des risques liés à l’environnement dans un contexte de dérèglement climatique majeur. Et ils recommandent la mise en place d’une véritable Stratégie nationale santé-environnement interministérielle.
Quelques avancées et reculs depuis ce rapport
Concernant les ondes électromagnétiques, les connaissances évoluent fortement depuis plusieurs années. Ainsi par exemple, une tribune publiée fin avril 2025 à l’attention des parents d’enfants en bas âge explique que « en 2025, le doute n’est plus permis et les très nombreuses publications scientifiques internationales sont là pour nous rappeler que les conséquences d’une exposition précoce et prolongée aux écrans sont avérées. » Ainsi, « ni la technologie de l’écran ni ses contenus, y compris ceux prétendument éducatifs ne sont adaptés à un petit cerveau en développement. L’enfant n’est pas un adulte en miniature : ses besoins sont différents. » Cette tribune est signée par Servane Mouton, neurologue et coprésidente de la Commission sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans.
S’agissant des perturbateurs endocriniens (bisphénols, phtalates, pesticides, PCB…), plusieurs actions ont été initiées en France comme la suppression du bisphénol A dans les biberons et les emballages alimentaires ou encore la surveillance de certaines populations (enfants, femmes enceintes…). Mais dans une évaluation de la 2e stratégie menée en 2024 par l’IGAS et l’IGEDD, les auteurs préconisent d’aller plus loin et de tendre vers le « zéro exposition » à dix/quinze ans.
En matière de nanomatériaux en revanche, notons que si le dioxyde de titane TiO2 (connu comme le colorant E171) a été interdit dans les bonbons, les plats cuisinés et la charcuterie, sa classification en tant que cancérogène a été annulée début août 2025 par la Cour de justice européenne. Selon certains scientifiques, c’est une forme nanométrique qui est considérée comme cancérogène mais cela ne justifie pas d’annuler la classification dans son ensemble.
Les produits chimiques en ligne de mire à l’été 2025
Dans le cadre de la sixième révision de la directive sur les agents cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMRD), la Commission européenne a pris mi-juillet 2025 de nouvelles mesures pour renforcer la protection des travailleurs contre les produits chimiques dangereux. Elle a notamment proposé de nouvelles valeurs limites d’exposition pour le cobalt et les composés inorganiques (principalement utilisés dans la production de batteries), les hydrocarbures polycycliques ou HAP (présents dans la production d’acier, de fer et d’aluminium ou dans les fumées de soudage) ou encore le 1,4-dioxane (utilisé comme solvant dans la production chimique et textile).
S’agissant des polluants éternels (PFAS), la France a adopté fin février 2025 une loi visant à protéger les populations des risques liés à ces substances. Dans ce cadre, le ministère de la Transition écologique a annoncé le 31 juillet la mise en consultation prochaine de deux décrets d’application, l’un sur l’interdiction des PFAS dans les objets de la vie courante (cosmétiques, textiles et farts) et l’autre sur l’adoption d’une trajectoire de réduction des émissions industrielles de PFAS à horizon 2030.
Ce tour d’horizon ne serait pas complet si l’on n’évoquait les nombreuses réactions de scientifiques face à la loi Duplomb qui, en vue de lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, souhaite, entre autres, ré-autoriser l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. La proposition de loi a fait l’objet d’une pétition aux résultats inédits en pleine période estivale (+ de 2 millions de signatures) mais elle a également donné lieu à différentes prises de position de scientifiques. Par exemple, la tribune portée par le professeur Sujobert au nom de la Société Française d’Hématologie et signée par 45 organismes considère que cette ré-autorisation « va aggraver l’exposition de l’ensemble de la population et, en premier lieu, les agriculteurs aux pesticides ». Elle se base sur différentes études et expertises collectives qui établissent « une forte présomption de lien entre l’exposition à ces substances et de nombreux cancers (prostate, leucémies, myélomes, lymphomes, cancers pédiatriques) auxquels s’ajoutent des maladies neurodégénératives, des affections pulmonaires et des troubles neuro-développementaux chez les enfants. » La tribune souligne par ailleurs que « le système d’homologation actuel se contente de tests mesurant la toxicité des molécules en laboratoire, ce qui n’est pas une approche suffisante pour détecter tous les effets possibles sur la santé humaine. » Bref pour ses auteurs, « l’adoption de la loi Duplomb représenterait un recul majeur pour la santé publique. » Une analyse également partagée fin juillet par le Conseil national de l’ordre des médecins qui en a profité pour annoncer le lancement d’une réflexion structurée sur les liens entre santé et environnement.
Bon à savoir : Inserm Magazine n°65
Dans son numéro du 30 juin 2025, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale présente un dossier « Polluants chimiques : la menace invisible ». Il souligne notamment que « invisibles mais omniprésentes, 100 000 molécules chimiques issues de l’industrie circulent dans l’eau, l’air, les sols… et s’invitent dans nos organismes dès la vie fœtale. Or, pour les 0,5 % d’entre elles les mieux connues, des effets sur les systèmes hormonal, neurologique, immunitaire se font jour. » En effet, si, historiquement, les recherches ont d’abord porté sur les effets des polluants sur la reproduction et la fertilité puis sur tout le système hormonal, aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à se pencher sur la toxicité neurologique et immunitaire de ces polluants.
Dérèglements climatiques : quels risques pour la santé ?
Le changement climatique et ses conséquences ont de nombreux impacts sur la santé. Les vagues de chaleur et canicules ont des effets directs (maux de tête, crampes, nausées…) mais aussi indirects sur nos organismes. Ainsi par exemple, une étude publiée en avril 2025 dans Environmental Health montre que des températures élevées pendant la grossesse et les premiers mois de la vie peuvent induire un retard dans le développement du langage chez les enfants. Dans un autre domaine, le développement de pollens peut conduire à des allergies ou de l’asthme. Le déplacement de certains insectes potentiellement porteurs de maladies vectorielles peut favoriser le développement de ces maladies dans des régions où elles n’étaient pas courantes. C’est le cas par exemple du moustique-tigre mais aussi des tiques, celles-ci pouvant transmettre plusieurs pathologies (borréliose ou maladie de Lyme, tularémie, encéphalite à tiques). Une exposition plus importante aux UV peut accroître le risque de mélanome (cancer de la peau). Des périodes plus chaudes et plus humides peuvent favoriser le développement de mycotoxines (toxines naturelles produites par certaines moisissures) dans l’alimentation qui peuvent être néfastes, en particulier pour les populations les plus fragiles (enfants, personnes âgées, personnes atteintes de maladie chronique…). On peut aussi ajouter les traumatismes liés aux événements extrêmes comme la perte de sa maison lors d’un feu ou d’une tempête.
Une large évolution des connaissances à la disposition des pouvoirs publics
Si au début des années 2000, l’argument du manque de connaissances des impacts sur la santé de l’environnement pouvait être recevable, il ne l’est plus aujourd’hui. Un nombre toujours croissant d’études et rapports sortent dans la littérature scientifique et les principaux instituts de recherche y consacrent une grande part de leurs activités. On est loin de ce que certains qualifient de « fake news »… Les médecins sont également impliqués comme en témoigne la lettre ouverte adressée au gouvernement en juin 2025 par les Unions régionales des professionnels de santé-médecins libéraux (URPS) pour alerter sur notre exposition au cadmium, un métal lourd présent dans le sol qui, en cas d’ingestion, peut causer des atteintes rénales et une fragilité osseuse. Notons aussi le développement du Green Data for Health, une initiative qui fédère une communauté d’acteurs français en santé-environnement en vue d’améliorer la compréhension de l’impact des facteurs environnementaux sur la santé par un croisement facilité des données d’environnement avec celles de la santé. Depuis avril 2025, l’Anses est en charge de coordonner cette mission jusque-là portée par le laboratoire Ecolab du CGDD. Face à ce foisonnement de connaissances, il ne reste plus qu’à prendre les décisions permettant de réduire les expositions…
1) Article santé environnementale
2) L’approche « One Health » ou « une seule santé » tient compte des liens complexes entre la santé animale, la santé humaine et l’environnement dans une approche globale des enjeux sanitaires. Après la pandémie Covid-19, et plus récemment des différentes crises Mpox (anciennement « variole du singe), les réflexions pour une meilleure prévention et anticipation des nouvelles crises sanitaires infectieuses ont montré qu’il fallait aussi s’intéresser à leurs facteurs environnementaux (source : Anses).
3) L’exposome correspond à l’ensemble des expositions environnementales auxquelles chaque personne est soumise tout au long de sa vie, aussi bien par son alimentation, l’air qu’elle respire, les rayonnements qu’elle reçoit, ses comportements que par son environnement sonore, psychoaffectif ou encore socio-économique (source : Inserm).