Production effrénée, surconsommation, gaspillage…, le secteur textile est pointé du doigt comme l’un des secteurs industriels les plus polluants et fortement émetteurs de GES(1). Au-delà de la collecte et du tri qui font actuellement l’objet de remises en question, certains en appellent à focaliser les efforts sur l’écoconception. Qu’en est-il exactement ?
Un secteur aux impacts multiples et en hausse constante
Chaque étape de la vie d’un vêtement a des impacts sur l’environnement, à commencer par l’extraction ou production des matières premières, qu’il s’agisse de fibres naturelles – végétales (coton, lin…) ou animales (laine, soie…), artificielles (i.e. produites à partir de ressources naturelles mais en utilisant des produits chimiques : viscose, modal…) ou synthétiques (polyester, polyamide/nylon, acrylique, élasthanne, principalement issus du pétrole). L’étape de transformation compte plusieurs opérations qui peuvent avoir une empreinte plus ou moins forte sur l’air, l’eau, les sols et la biodiversité : filature, tissage, tricotage, teinture (souvent toxique)(2), impression, ennoblissement et confection. L’étape de distribution a elle-aussi de nombreux impacts, du stockage à la vente en passant par le transport. La phase utilisation en a également, en particulier au niveau du lavage (une lessive de vêtements en polyester peut libérer jusqu’à 700 000 fibres de micro-plastiques qui se retrouvent dans l’eau, donc dans notre chaîne alimentaire ou nos océans). Et la fin de vie de nos vêtements usagés représente un enjeu environnemental majeur tant les quantités évoluent. De fait, après avoir doublé entre 2000 et 2020, passant de 58 Mt à 109 Mt, la production mondiale de fibres a atteint un record de 124 Mt en 2023 et elle devrait s’élever à 160 Mt en 2030. En parallèle, plus de la moitié des vêtements sont aujourd’hui jetés au bout d’un an (cf. fast fashion et ultra fast fashion).
Au sein de l’UE, 1 % des vêtements usagés sont recyclés en vêtements, d’autres sont valorisés dans d’autres produits (isolation, automobile…) mais la grande majorité (87%) est incinérée ou mise en décharge et le reste est exporté. Or, même s’il faut se garder de toute généralisation, chacun a en tête les images de montagnes de vêtements sur des plages d’Afrique de l’Ouest ou dans le désert d’Atacama au Chili qui génèrent des catastrophes sanitaires et environnementales.
Quelle réglementation sur l’écoconception dans le textile ?
En mars 2022, la Commission européenne a adopté une stratégie en vue de « rendre les textiles plus durables, réparables, réutilisables et recyclables, lutter contre la fast fashion et stimuler l’innovation dans le secteur. » Des exigences ont notamment été définies en matière d’écoconception pour les textiles et en matière d’information des consommateurs (passeport numérique pour les produits) et un appel a été lancé aux entreprises pour qu’elles prennent plus leurs responsabilités dans la réduction de l’empreinte carbone et environnementale de leurs produits. Un an plus tard, les eurodéputés ont présenté d’autres propositions de mesures visant à ce que les textiles soient « produits dans le respect des droits humains, sociaux et du travail, de l’environnement et du bien-être animal. » Cette même année 2023, une proposition de directive Green Claims a été présentée en vue de protéger les consommateurs et les entreprises contre le green washing mais le texte est aujourd’hui fortement attaqué et risque d’être retiré. Plus récemment, le règlement européen de juillet 2024 sur l’écoconception pour des produits durables (REPD ou ESPR en anglais) a placé le textile dans les secteurs prioritaires.
En France, la loi AGEC de février 2020 prévoit l’obligation d’élaborer un plan de prévention et d’écoconception (cf. réduire l’usage des ressources non renouvelables, augmenter l’utilisation de matières recyclées, accroître la recyclabilité des produits). Cette loi AGEC et la loi Climat et Résilience d’août 2021 instaurent un dispositif d’affichage des impacts environnementaux des produits de façon fiable et compréhensible. Par ailleurs, la loi sur les PFAS de février 2025 interdit à partir du 1er janvier 2026 la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de vêtements et chaussures contenant des PFAS (excepté les vêtements et chaussures de protection) et stipule qu’à partir de 2030, tous les textiles contenant des PFAS seront interdits en France (sauf les textiles techniques à usage industriel). Notons aussi qu’une norme dédiée à l’évaluation de la durabilité physique des articles a été publiée en février (norme NF G30-113). Elle a été élaborée dans le cadre du projet Durhabi soutenu par l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), l’Ademe et l’éco-organisme Refashion.
Principaux leviers d’écoconception
Un professionnel du textile dispose de plusieurs leviers pour se lancer dans une démarche d’écoconception. Il peut choisir ses matières premières en fonction de leur empreinte environnementale et opter pour des procédés qui permettent de limiter les pertes de matières et de réduire les consommations (énergie, eau…). En phase Transformation, il peut aussi opter pour des procédés qui permettent de réduire l’utilisation de produits chimiques et/ou, là encore, de réduire les consommations d’eau et d’énergie. Il peut par ailleurs choisir de produire à la demande, de privilégier la demande en temps réel pour réduire la production de déchets, d’optimiser sa chaîne de production, de travailler à l’allongement de la durée d’usage et de vie de ses produits, de réduire les impacts liés à la distribution ou de se lancer dans un processus de labellisation.
Dans un guide spécifique publié en mars 2025(3), l’Ademe recommande notamment d’éviter au maximum le mélange de matières, de supprimer (ou au moins réduire) la teinture, de limiter le délavage ou encore de proposer des services de réparation ou de garantie supérieurs à deux ans. Ce nouveau guide a également servi de base pour l’appel à projets Texhabi destiné à accompagner les entreprises dans l’écoconception de leurs produits finis ou semi-finis et les préparer à la mise en place de l’affichage environnemental textile. Plus de cent projets ont déjà été déposés dans ce cadre, pour un coût total de 3 millions d’euros.
Autres voies possibles
Plus largement, les professionnels du secteur textile peuvent aussi faire le choix d’adopter de nouvelles stratégies comme développer de nouveaux modèles commerciaux pour la location de vêtements, concevoir leurs produits de manière à faciliter la réutilisation et le recyclage, mener des actions vers les consommateurs pour qu’ils achètent moins de vêtements mais de meilleure qualité ou encore orienter leur comportement vers des options plus durables.
Les limites actuelles à l’écoconception
Selon le SGPE, sur 887 000 tonnes de produits finis neufs en textile d’habillement en France, 580 000 tonnes sont importées et 37 000 tonnes (moins de 5 %) sont fabriquées en France(4). Les exigences européennes ou nationales en matière d’écoconception ne concernent qu’un petit nombre d’acteurs (le pays compte 2 200 entreprises textiles actives dont 85 % de PME) qui, en outre, les considèrent parfois comme des contraintes s’assimilant à des distorsions de concurrence. De fait, si inciter les metteurs en marché à éco-concevoir leurs produits » fait partie des principales ambitions de la filière TLC en France(5), il reste encore du chemin à parcourir.
La filière Textile à l’honneur sur Pollutec 2025
Une journée thématique sera consacrée à la filière Textile le mardi 7 octobre sur Pollutec. Animée par Victoire Satto, cofondatrice de The Good Goods, elle offrira une immersion pour changer notre regard et accélérer, l’idée étant de montrer que les solutions existent déjà en matière de circularité textile. La journée sera ponctuée par une keynote générale, plusieurs conférences et une séance de pitchs de startups.
En parallèle, plusieurs exposants du salon présenteront leurs solutions innovantes. C’est le cas notamment de Canoe (masque chirurgical IIR biosourcé et biodégradable), de Keenat (solution de collecte et recyclage des équipements de protection individuelle et des textiles sanitaires à usage unique) et de Mapea (valorisation de textiles dans des plastiques).
D’autres exposants du salon présenteront leur offre dans différents domaines du textile : tri et recyclage (Pellenc ST, Recyc’Elit, Plas’Tri, Whitecycle…), valorisation en produits d’essuyage (les Etablissements Compas), textiles techniques (Ciffa Systèmes), infrastructures en acier et textile (Agrotel GmbH, Richel Group – Toutabri, Locabri, Skavska), etc.
1) Selon les estimations, la production de textile serait responsable de près de 20 % de la pollution mondiale d’eau potable et représenterait entre 8 % et 10 % des émissions mondiales de GES.
2) Rappelons qu’il est fortement recommandé de laver un vêtement neuf avant le premier porter.
3) « Guide sectoriel d’écoconception : textile d’habillement – Leviers d’actions, des premiers pas d’écoconception aux pistes spécifiques d’approfondissement » à destination des professionnels. Disponible sur https://librairie.ademe.fr/
4) « Mieux produire et mieux consommer – Enjeux associés à la production et la consommation de textiles en France », Secrétariat Général à la Planification Ecologique, Avril 2025
5) Cf. https://filieres-rep.ademe.fr/filieres-REP/filiere-TLC#enjeux