L’impact environnemental de l’IA fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, comme c’est le cas depuis plus longtemps pour le numérique. Ce début d’année 2025 est marqué par plusieurs évolutions. Qu’en est-il exactement ?

 

On est ici face à un véritable paradoxe : l’IA, comme le numérique, peut contribuer à réduire l’empreinte environnementale de notre économie. En effet, les solutions numériques sont déjà particulièrement pertinentes dans la gestion des flux (énergie, eau…), le transport, le bâtiment, l’industrie, l’agriculture, les territoires (gestion des déchets, de l’éclairage…) comme le montrent depuis des années la plupart des innovations présentées sur Pollutec(1).

Cependant, comme le numérique, mais dans des proportions beaucoup plus larges liées surtout à l’IA générative, l’intelligence artificielle a un impact croissant sur l’environnement et le climat du fait de sa consommation en électricité, eau, ressources abiotiques (minéraux et métaux), sols et fonds marins (pour les data centers et les réseaux) et de sa production de déchets.

Dans son « Rapport 2024 sur l’économie numérique », la CNUCED(2) détaille ces impacts (v. quelques chiffres clés en encadré) et appelle d’urgence la communauté internationale à mettre en œuvre des politiques globales favorisant une économie numérique circulaire, minimisant les impacts et réduisant la fracture numérique. Car l’économie du numérique est loin d’être virtuelle : elle présente une matérialité sous-jacente, comme le pointent l’Ademe, le CNRS et l’INRIA à l’origine, en 2023, du programme Alt IMPACT(3). Si, jusque-là, l’impact environnemental du numérique était lié à 50 % aux équipements (terminaux : TV, ordinateurs, smartphones…), à 46 % aux data centers et à 4 % aux réseaux, cette proportion devrait évoluer, voire s’inverser, avec le développement de l’IA générative mais aussi des crypto-monnaies.

 

L’impact du numérique dans le monde en quelques chiffres (source CNUCED)

– Le secteur des TIC a généré entre 1,5 % et 3,2 % des émissions mondiales de GES en 2020

– La production d’un ordinateur de 2 kg nécessite près de 800 kg de matières premières

– La demande de minéraux tels que graphite, lithium ou cobalt pourrait augmenter de 500 % d’ici 2050

– Les data centers ont consommé 460 TWh d’électricité en 2022, consommation qui pourrait doubler d’ici 2026

– Les déchets liés au numérique ont augmenté de 30 % entre 2010 et 2022, pour atteindre 10,5 millions de tonnes dans le monde dont seuls 24 % sont collectés en 2022. Dans les pays développés, on en produit en moyenne 3,25 kg par personne

– Le nombre d’unités de semi-conducteurs a quadruplé entre 2001 et 2022 et la couverture 5G devrait passer de 25 % en 2021 à 85 % en 2028

– Le nombre d’appareils de l’internet des objets (IoT) devrait passer de 16 000 milliards en 2023 à 39 000 milliards en 2029

– Les ventes de l’e-commerce ont bondi de 17 000 milliards de dollars en 2016 à 27 000 milliards en 2022 dans 43 pays.

En France, selon une étude Ademe-Arcep* de janvier 2025, le numérique représente 4,4 % de l’empreinte carbone du pays (l’équivalent des émissions des poids lourds) contre 2,5 % en 2020 (l’équivalent du secteur des déchets) et il est à l’origine de 11 % de la consommation nationale d’électricité.

*L’Ademe et l’Arcep travaillent ensemble sur le sujet depuis 2020, mandatés par le gouvernement.

 

Limiter l’empreinte du numérique : le cadre en place en France

En février 2020, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi AGEC) a prévu des avancées pour l’allongement de la durée de vie des produits et équipements numériques avec la mise en place d’un indice de réparabilité, l’allongement de la garantie légale de conformité pour les produits réparés, une durée de disponibilité des pièces détachées de cinq ans minimum pour les petits équipements numériques et une information sur les durées de fourniture des mises à jour des équipements numériques.

Durant cette même année 2020 , le Conseil National du Numérique (CNNum) et le Haut Conseil pour le Climat (HCC) ont publié une « Feuille de route sur l’environnement et le numérique – 50 mesures pour un agenda national et européen sur un numérique responsable, i.e. sobre et au service de la transition écologique et solidaire et des objectifs de développement durable. » Ces mesures sont réparties en trois grands chantiers : Un numérique sobre ; Un numérique au service de la transition écologique et solidaire et Outils et leviers pour un numérique responsable.

En février 2021, c’est au tour du ministère de l’Ecologie et du Secrétariat d’État chargé de la Transition numérique de publier une feuille de route « Numérique et environnement » qui « marque le lancement d’une nouvelle politique publique centrée sur la nécessité de faire converger transition écologique et numérique. » Cette feuille de route compte quinze fiches actions réparties en trois axes : Connaître pour agir (développer la connaissance de l’empreinte environnementale numérique) ; Soutenir un numérique plus sobre (réduire l’empreinte environnementale du numérique liée à la fabrication des équipements et au développement des usages) et Innover (faire du numérique un levier de la transition écologique). Sa mise en oeuvre est pilotée par le Haut Comité pour le Numérique Ecoresponsable créé en 2022.

En novembre 2021 est adoptée une loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (loi REEN) qui « entend faire converger transition numérique et transition écologique en responsabilisant l’intégralité des acteurs du numérique (professionnels, acteurs publics, consommateurs). Cette nouvelle loi vise cinq objectifs : faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique ; limiter le renouvellement des appareils numériques ; adopter des usages numériques écoresponsables ; promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores ; promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires. C’est notamment en application de cette loi que l’Arcep(4) et l’Arcom(5) en lien avec l’Ademe ont publié en mai 2024 une version 2 du Référentiel général d’écoconception de service numérique (RGESN) qui comporte désormais 79 critères spécifiques.

En juillet 2023, une première feuille de route de décarbonation du numérique est élaborée en application de l’article 301 de la loi Climat et Résilience. Aboutissement des réflexions de plusieurs groupes de travail dédiés (terminaux, data centers & cloud, sobriété & usages, réseaux mais aussi contribution du numérique à la décarbonation d’autres secteurs), elle présente des freins à lever et des actions à mener afin d’atteindre les objectifs de décarbonation à l’horizon 2030 puis 2050.

En parallèle, une stratégie d’accélération « Numérique écoresponsable » est adoptée dans le cadre de France 2030 pour « développer l’écoresponsabilité du secteur numérique tout en proposant une offre compétitive plus sobre de solutions numériques. » Cette stratégie se décline en quatre axes : soutenir les développements méthodologiques pour enrichir la connaissance de l’empreinte environnementale du numérique ainsi que la recherche en matière d’écoconception et de sobriété des solutions numériques ; favoriser l’innovation pour une économie circulaire dans le secteur du numérique afin de faire de la France un leader sur l’écoconception, la sobriété et l’allongement de la durée de vie des solutions numériques ; créer une offre de formation (initiale et continue) relative à l’écoconception et à la sobriété numérique ; acculturer les différents acteurs à cette transformation numérique et les accompagner.

Cependant, si, comme vu ci-dessus, la France est « dotée d’un cadre unique », l’Ademe considère qu’il reste des efforts importants à faire pour connaître et partager les impacts du numérique. L’Agence recommande ainsi d’allonger la durée d’usage de nos équipements (cf. écoconception, réparation, offre de produits reconditionnés et recyclage), de favoriser la sobriété des usages, de maîtriser les effets rebond(6) des technologies réseaux et d’innover pour anticiper les futurs impacts, en particulier de l’IA et des univers immersifs.

 

Une définition de l’IA

Avant de se pencher sur les actions visant à limiter l’empreinte environnementale de l’intelligence artificielle, rappelons à quoi elle correspond véritablement.

Pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’IA est « un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies. » La CNIL indique aussi que « pour le Parlement européen, constitue une intelligence artificielle tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. » Et elle ajoute : « la Commission européenne considère que l’IA regroupe les approches d’apprentissage automatique, les approches fondées sur la logique et les connaissances et les approches statistiques, l’estimation bayésienne et les méthodes de recherche et d’optimisation. »

L’IA générative quant à elle désigne toute intelligence artificielle qui génère du contenu (texte, audio, vidéo…) à partir de données. Car le mot clé concernant l’IA, c’est bien le mot « données ». L’IA nécessite un traitement considérable de données aussi bien dans sa phase d’entraînement des modèles que dans sa phase d’utilisation. L’Agence internationale de l’énergie (IEA) estime d’ailleurs à plus de 75 % la hausse de la consommation d’électricité des data centers en 2026 par rapport à 2024 (soit plus de 800 TWh contre 460 TWh), ce qui, en corollaire, se traduira par une hausse des GES. De même, le boom de l’IA générative va entraîner un renouvellement en équipements plus adaptés (ordinateurs, smartphones, tablettes…).

 

Quelle prise en compte de son empreinte environnementale ?

La question de l’empreinte environnementale de l’intelligence artificielle commence à être abordée à grande échelle depuis peu. Par exemple, Ecolab(7), Afnor et l’Ademe ont publié en juin 2024 un Référentiel général pour l’IA frugale(8). Ce premier guide pour mesurer et réduire l’impact environnemental des systèmes d’IA présente des définitions, méthodes et bonnes pratiques pour promouvoir une approche frugale de la création et de l’utilisation de services d’IA. Il s’adresse aussi bien aux développeurs d’IA  qu’aux acheteurs publics et privés souhaitant adopter une approche durable et responsable.

L’Ademe et l’Arcep ont lancé en décembre 2024 l’Observatoire des impacts environnementaux du numérique, en application de l’article 4 de la loi REEN. Cet observatoire qui inclut l’IA a vocation à « constituer une plateforme de référence en matière de données fiables et sourcées sur les impacts environnementaux du numérique. »

Et début février 2025, l’Institut IA & Société, l’ENS-PSL et la Fondation ENS ont lancé avec Capgemini un Observatoire dédié à l’analyse des impacts environnementaux de l’IA à toutes les étapes de son cycle de vie (entraînement, ajustement, inférence et fin de vie) et à l’atténuation de ces impacts. L’objectif est d’établir « une méthodologie solide et partagée pour promouvoir des pratiques durables d’utilisation de l’IA. »

Au niveau mondial, notons que l’Agence internationale de l’énergie (IEA) lancera en avril un Observatoire sur l’énergie, l’IA et les centres de données qui aura pour mission de rassembler les données sur les besoins en électricité de l’IA, de suivre les applications de pointe de l’IA dans le secteur de l’énergie et d’anticiper les besoins énergétiques des data centers et des modèles de l’IA.

 

Vers une durabilité environnementale de l’IA globale

Lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle organisé à Paris début février, 61 pays, l’Union européenne et la Commission de l’Union africaine ont signé une « déclaration sur l’IA inclusive et durable pour les personnes et la planète. » Les signataires – sans les Etats-Unis ni le Royaume-Uni – considèrent essentiel de rendre l’IA durable pour les personnes et la planète.

En parallèle, une Coalition pour une IA écologiquement durable a été lancée au ministère de la Transition écologique afin de renforcer la place de la durabilité de l’IA dans le débat mondial sur l’IA au même titre que la sécurité ou l’éthique. Soutenue par dix pays et six organisations internationales, cette coalition compte un grand nombre d’acteurs de l’écosystème IA (grandes entreprises, centres de recherche, associations et ONG, investisseurs, institutions publiques, PME et startups), tous déterminés à placer l’IA sur une trajectoire plus responsable. Affaire à suivre.

 

1) Ex. : solutions d’optimisation des process, de monitoring (capteurs…), de maintenance préventive, etc.

2) CNUCED: ONU Commerce et Développement – https://unctad.org/fr/publications

3) Proposé par l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), le programme Alt IMPACT – Se mobiliser pour la sobriété numérique se traduit notamment par un site internet destiné aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises et collectivités – https://altimpact.fr/

4) Arcep : Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ex-ART créée en 1997 et devenue Arcep en 2005)

5) Arcom : Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, issue de la fusion CSA / Hadopi en janvier 2022

6) Effet rebond : Fait que certains gains environnementaux dus à une gestion des ressources plus efficace ou à des évolutions techniques sont sensiblement diminués ou annulés par une augmentation de la consommation ou une modification des usages (France Terme). L’effet rebond peut être direct (réallocation des gains d’efficacité d’une activité dans cette activité) ou indirect (réallocation des gains vers une autre activité).

7) Ecolab – Greentech Innovation est le laboratoire de l’innovation au service de la transition écologique au sein du Commissariat général du développement durable (CGDD)

8) AFNOR SPEC 2314 – Une AFNOR SPEC pour mesurer et réduire l’impact environnemental de l’IA

 

En savoir plus :

  • Avis du CESE : « Impacts de l’IA : risques et opportunités pour l’environnement », Fabienne Tatot et Gilles Vermot Desroches, 60 pages, réf. 2024-014, Septembre 2024. Le rapport porte à la fois sur les IA à finalité environnementale (« IA for green ») et les IA frugales (« Green IA »). Il présente six pistes pour construire une IA frugale à finalité environnementale.
  • Avis de l’Ademe : « Numérique & environnement : entre opportunités et nécessaire sobriété », Erwan Fangeat et Mathieu Wellhoff, 12 pages, réf. 012717, Janvier 2025. Les préconisations proposées concernent essentiellement la limitation du nombre d’équipements, la sobriété des usages, la mesure, la maîtrise des effets rebond et l’innovation.

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