En France, la consommation globale de matières (ressources énergétiques fossiles, biomasse, métaux, minéraux non métalliques) s’élève à près de 800 millions de tonnes par an. Pour l’année 2017 par exemple, elle était de 783 Mt. Sur cette même année, la collecte en vue du recyclage des cinq matières premières de recyclage (acier brut / fonte, papiers-cartons, plastiques, aluminium, verre) a atteint 24,1 Mt et au final 16,9 Mt ont été incorporées dans la production française. Il était donc temps d’accélérer. L’année 2021 a, depuis, jeté les bases d’un changement d’échelle.
Si le recyclage présente de nombreux avantages (limiter la consommation de ressources vierges, réduire les émissions de GES, générer de la valeur, réduire notre dépendance extérieure), plusieurs freins persistent à l’utilisation du recyclé. En cause notamment la connaissance limitée du gisement (cf. traçabilité, caractérisation), la variabilité des lots de matières premières de recyclage (MPR), la nécessité d’améliorer le tri (techniques de séparation…) et les techniques de régénération, sans oublier la nécessaire adaptation des équipements productifs pour qu’ils puissent incorporer des matières de recyclage.
Autre point important, la question des risques sanitaires liés à l’utilisation des matières recyclées pour l’emballage alimentaire est de plus en plus prégnante. L’accord-cadre de cinq ans signé en juillet par LNE, INRAE, IPC et le CTCPA en vue de renforcer leur collaboration en matière d’évaluation de ces risques en est un récent exemple.
Un nouveau contrat de filière
Au-delà de ces freins, la compétition demeure entre les matières premières vierges (ou ‘matières extractives’) et les matières premières de recyclage dont les prix dépendent essentiellement des coûts fixes de la transformation des déchets. Dans l’avenant signé en juin 2021 au contrat de filière « Transformation et valorisation des déchets » pour la période 2021-2024, les professionnels impliqués ont déclaré « souhaiter développer des mécanismes permettant de favoriser le recours aux MPR même en cas de différentiel de coût favorable aux matières de premières extractions ».
D’une manière plus globale, ce nouveau contrat fixe notamment l’objectif d’accélérer le recyclage des plastiques et l’incorporation de matières de recyclage. Federec et Fnade sont engagées à travailler sur chaque filière. L’idée est de réaliser un bilan des actions possibles pour renforcer la demande de MPR et d’élaborer un tableau de bord permettant de préciser les volumes majeurs (déchets produits, déchets collectés, déchets recyclés, MPR ré-incorporés) et les tendances et évolutions sur l’import/export.
Une stratégie nationale « Recyclabilité, Recyclage et Réincorporation des matériaux »
Cet objectif est repris en septembre 2021 par le gouvernement dans le cadre de sa stratégie nationale pour accélérer le recyclage de cinq matériaux : plastiques, composites, textiles, métaux stratégiques, papiers-cartons. Déjà forte de 200 M€ prévus dans France Relance, cette stratégie bénéficie de 370 M€ supplémentaires du PIA pour 2021-2027 pour soutenir la R&D de solutions de recyclage et le développement des formations et compétences et accompagner le déploiement industriel d’unités de recyclage de batteries ainsi que l’adaptation de l’outil industriel pour réincorporer les MPR dans de nouveaux cycles de production. C’est dans ce cadre qu’a été lancé l’appel à projets « Solutions innovantes pour l’amélioration de la recyclabilité, du recyclage et de la réincorporation des matériaux » (AAP RRR).
Outre la conception des produits et la collecte – tri des déchets, les projets attendus dans cet AAP doivent permettre de lever des verrous dans la préparation de la matière et dans la réincorporation de la matière. Concernant la préparation de la matière, il s’agit essentiellement de « produire des MPR de qualité suffisante, maîtrisée et constante et de concevoir des procédés d’élaboration de nouveaux matériaux en envisageant leur emploi croisé dans des domaines différents » (‘recyclage en boucle ouverte’).
Et concernant la réincorporation de la matière, l’idée est de « développer, renforcer et adapter l’outil industriel pour contribuer à améliorer la substitution dans la durée aux matières premières vierges ». Sont par exemple attendues des technologies permettant d’améliorer la qualité des MPR produits en papier-carton pour de nouvelles applications (y compris alimentaires) ou encore des technologies de recyclage mécanique et chimique des composites pour favoriser leur réincorporation.
Taux minimal d’incorporation de matière recyclée : des améliorations possibles
Selon le Bilan National du Recyclage publié début 2021 par l’Ademe, le papier-carton présentait en 2017 un taux d’incorporation de 71 %, le verre : 61%, l’aluminium : 51%, l’acier et la fonte : 47%. Pour le plastique en revanche, le taux global était de 6 % et pour le textile, il était « inférieur à 5 % », sans autre précision.
L’exemple de l’aluminium
Appelé « métal roi du monde moderne » par l’IFPen, l’aluminium est utilisé dans de nombreuses technologies de la transition bas carbone (batteries, PAC, nacelles et pales d’éoliennes, cadres et onduleurs pour PV, raccordement électrique, mobilité…). Cependant, l’UE est très dépendante des pays producteurs de bauxite (ex. : Guinée). La production particulièrement électro-intensive a une forte empreinte carbone.
Et à ce jour, elle est largement dominée par la Chine. L’avantage du recyclage est donc évident d’autant que l’aluminium, contrairement à d’autres matériaux, ne perd pas ses propriétés. Alors qu’en 2020, l’aluminium recyclé constituait le tiers de l’approvisionnement européen, pourrait-on imaginer un renversement de la tendance ?
Dans son Livre Blanc sur l’industrie du recyclage à l’horizon 2030, Federec avait pointé en 2015 que « pour augmenter le taux d’incorporation de la matière recyclée dans les produits et permettre le développement d’applications innovantes pour les matières issues du recyclage des gisements de demain, il [était] fondamental de faire se rencontrer plus largement l’offre et la demande ».
A titre d’exemple, on sait que les industriels ont besoin d’un aluminium recyclé de très haute pureté pour pouvoir l’intégrer dans leur process de refonte, la moindre trace de métaux lourds affectant les spécifications de la fusion. Pour répondre à ces exigences, les professionnels du recyclage développent des solutions toujours plus innovantes et adaptées aux utilisateurs finaux, comme l’a récemment montré TOMRA avec Alutrade en Grande-Bretagne.
De son côté, la réglementation française évolue pour se conformer aux exigences européennes. Dans la loi AGEC* notamment, l’article 61 stipule que « la mise sur le marché de certaines catégories de produits et matériaux peut être subordonnée au respect d’un taux minimal d’incorporation de matière recyclée, à l’exception des matériaux issus des matières premières renouvelables, sous réserve que l’ACV de cette obligation soit positive. Ces catégories et taux (…) sont fixés par décret ».
Depuis, un décret est paru : le décret n° 2021-1610 du 9 décembre 2021 qui fixe un taux de 25 % pour le 1er janvier 2025 et de 30 % pour le 1er janvier 2030 pour le plastique destiné aux bouteilles pour boissons en polyéthylène téréphtalate (PET). D’autres décrets devraient suivre.
Une certification « Incorporation de Matières Plastiques Recyclées »
Alors que la marge de manœuvre reste encore importante dans le domaine des plastiques, le LNE a lancé en janvier 2022 la certification « Incorporation de Matières Plastiques Recyclées » dont le référentiel a été développé avec le Centre Technique Industriel de la Plasturgie et des Composites.
Deux options sont proposées :
- une certification des valeurs déclarées de tonnages de MPR incorporées dans la production annuelle d’un site
- ou une certification des quantités spécifiques de MPR contenues dans un produit ou une gamme de produits. Cette nouvelle certification s’inscrit dans le cadre d’un système d’harmonisation paneuropéen de certifications d’incorporation de MPR piloté par Polycert Europe au sein de la Circular Plastic Alliance (CPA).
*Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire n°2020-105 du 10 février 2020.
À lire : Le « Décret 5 flux », ou comment valoriser les déchets des entreprises