La Commission européenne a présenté mi-mai sa nouvelle approche en faveur d’une économie bleue durable. Cette communication, qui remplace la stratégie sur la croissance bleue de 2012, développe un programme détaillé pour que l’économie bleue puisse « jouer un rôle majeur dans la réalisation des objectifs du Pacte vert pour l’Europe ». Au-delà de l’agenda fixé, quelle est la place accordée à la recherche & innovation et quels sont les investissements prévus ?
La communication se décline en cinq axes majeurs : Neutralité climatique et zéro pollution ; Economie circulaire et prévention des déchets ; Biodiversité et investissements dans la nature ; Résilience côtière ; Systèmes alimentaires responsables. Pour la première fois, l’ensemble des axes retenus est abordé d’un point de vue systémique.
Chacun des thèmes est remis dans le contexte des stratégies et plans d’action récemment adoptés. Par exemple, la partie décarbonation reprend les objectifs fixés par la stratégie Energies marines renouvelables de novembre 2020 (multiplication par 5 des capacités d’ici 2030 et par 30 d’ici 2050 afin de produire un quart de l’électricité de l’Union) et ceux fixés par la stratégie Mobilités durables et intelligentes de décembre 2020 en matière de transport maritime et de ports propres (cf. premiers navires « zéro émission » pour 2030, extension des zones de contrôle à la Méditerranée, ports transformés en pôles énergétiques ou en pôles d’économie circulaire…).
En matière d’économie circulaire et de prévention des déchets, les ambitions vont plus loin que l’objectif fixé en 2008 (cf. moins de 20 déchets pour 100 m de littoral). Après la directive relative aux plastiques à usage unique adoptée en 2019, d’autres mesures doivent suivre sur les micro- et nanoplastiques. Le plan d’action « zéro pollution » de l’UE portera sur la pollution due aux nutriments, la pollution sonore sous-marine en plus des contaminants et des déchets. De plus, un plan d’action pour une économie circulaire, de nouvelles normes de conception des engins de pêche et un règlement relatif au recyclage des navires sont également à l’étude.
Les questions liées à la biodiversité et aux investissements dans la nature relèvent de la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité qui prévoit notamment d’étendre la protection à 30 % de l’espace maritime de l’Union et de créer des corridors écologiques. S’agissant de la résilience côtière aux enjeux particulièrement cruciaux (près d’un tiers de la population de l’UE vit à moins de 50 km de la côte, soit 150 millions de personnes), la nouvelle stratégie pointe la nécessité de mener des actions d’adaptation plus naturelles ou fondées sur la nature que celles axées sur les infrastructures lourdes réalisées jusque-là. Enfin, pour rendre les systèmes alimentaires plus responsables, divers types d’actions sont envisagés comme une meilleure utilisation des ressources marines, la numérisation de la pêche et de l’aquaculture ou encore l’exploitation accrue du potentiel des algues. Cela devrait se traduire à terme par des propositions législatives, des initiatives spécifiques et la mise en place d’une politique commune de la pêche.
Quels soutiens pour cette économie bleue durable ?
Pour la Commission, le développement d’une économie bleue durable passe par une meilleure connaissance des océans et de leurs écosystèmes et un libre accès aux données, ce qui doit permettre aux professionnels concernés, aux pouvoirs publics et à la société civile « de prendre les décisions en connaissance de cause ». A titre d’exemple, tout un travail est mené sur le partage des données marines, en particulier avec l’aide des applications satellitaires (cf. programme Copernicus). Par ailleurs, un observatoire de l’économie bleue doit être mis en place courant 2021.
Un accent majeur mis sur la recherche et l’innovation…
Développer une économie bleue durable repose fortement sur la recherche et l’innovation. A cet égard, le potentiel de technologies telles que les mégadonnées, l’intelligence artificielle, la modélisation avancée, les capteurs toujours plus évolués et les systèmes autonomes est considérable. Ces technologies peuvent soutenir les secteurs traditionnels dans leur transition (transport maritime, pêche, tourisme) et elles sont au cœur des solutions proposées par les secteurs plus émergents comme les biotechnologies bleues, les EMR ou la sûreté maritime. Sans oublier l’apport qu’elles représentent pour les communes du littoral souhaitant reconstruire ou remodeler leurs économies et devenir des moteurs locaux de la durabilité.
Rappelons également l’importance du nouveau programme Horizon Europe(1) qui traite des thématiques liées à l’économie bleue dans plusieurs ‘clusters’ de son pilier 2 : cluster 3 « Sécurité civile pour la société (cf. sécurité maritime), cluster 5 « Climat, énergie et mobilité » et cluster 6 « Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement ». Dans le cadre de ce cluster 6, une mission de recherche et d’innovation « Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales » a déjà été lancée. Elle aborde notamment la réduction de la pollution des écosystèmes marins, la régénération des eaux et les solutions visant la neutralité carbone (ex. : pêche neutre en carbone, industrie du ferry plus ‘écologique’…). Notons aussi qu’une agence européenne de l’hydrosphère devrait être créée d’ici 2030.
Plus largement, un « nouveau partenariat européen pour une économie bleue climatiquement neutre, durable et productive » sera lancé en 2023, sous la forme d’une initiative publique cofinancée par l’Union, les gouvernements nationaux et les agences nationales de financement de la recherche.
…et des investissements aussi bien publics que privés
Une initiative volontaire de financement de l’économie bleue durable (« Sustainable blue economy finance initiative ») a été lancée en 2018 par plusieurs acteurs dont la Commission européenne, la Banque européenne d’investissement (BEI), le World Resource Institute et le WWF. A début juin 2021, plus de cinquante institutions l’avaient déjà rejointe en tant que membres ou signataires.
En parallèle, le nouveau programme InvestEU qui doit générer plus de 372 Mrd€ d’investissements supplémentaires pourra être utilisé pour le transport maritime, les ports, les EMR ou pour des sujets liés à la conservation et restauration de la biodiversité, l’aquaculture durable et l’observation des océans. De même, les fonds issus de la politique de cohésion pourront toujours être mobilisés (cf. projets contribuant à la transition : transport maritime « zéro émission », infrastructures portuaires décarbonées, EMR mais aussi économie circulaire et mesures locales d’adaptation). Enfin, la Commission va plus coopérer sur ces sujets avec les institutions financières européennes. Par exemple, elle étudie avec la BEI les moyens d’inciter les investisseurs privés et les banques publiques à s’associer aux efforts visant à réduire la pollution dans les mers européennes. Elle réfléchit avec le Fonds européen d’investissement à un cadre permettant de faciliter l’utilisation d’instruments financiers en gestion partagée. Et elle continue à soutenir les petites entreprises via sa plateforme BlueInvest. La révision prévue des règles relatives aux aides d’État et de la directive EnR doit en outre fixer les conditions permettant de soutenir le déploiement d’énergies propres, dont les EMR, d’une manière écoresponsable et dans un bon rapport coût-efficacité.
Les compétences et les emplois également à l’ordre du jour
Selon les dernières estimations, les secteurs traditionnels de l’économie bleue fournissent 4,5 millions d’emplois directs. Le soutien de la Commission porte aussi sur tout ce qui relève des compétences et des emplois ‘bleus’. Au-delà de la stratégie en matière de compétences pour l’Europe, divers programmes et initiatives sont en cours ou sur le point d’être lancés. Par exemple, le Blue Careers Programme accorde des subventions pour reconvertir la main d’œuvre. Plusieurs fonds européens sont sollicités comme le fonds social européen ou le fonds européen pour les affaires maritimes avec qui un appel à propositions « Carrières bleues » doit être lancé en 2022. De même, des partenariats pour les compétences sont encouragés dans les pactes pour les compétences destinés aux écosystèmes industriels dont les EMR ou la construction navale.
1) Horizon Europe est le programme-cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation (cf. règlement 2021/695 du Parlement et du Conseil du 28.04.2021). Les règles de participation et de diffusion ont été publiées au JOCE le 12.05.2021.