Si aujourd’hui l’accent est fortement mis sur les risques climatiques dans les villes et territoires, les risques liés aux pollutions industrielles restent une question majeure. Dans ce domaine, les élus locaux se trouvent souvent seuls et démunis pour répondre aux attentes de leurs administrés. C’est ce que met en avant une étude menée par l’association Amaris(1). La conclusion est sans appel : il y a vraiment urgence à prendre le problème à bras le corps et à engager une vraie démarche de prévention et de surveillance de ces pollutions.
Publiée en octobre 2025 à l’issue d’un programme mené pendant trois ans auprès d’une trentaine de collectivités, l’étude Amaris identifie les difficultés rencontrées par ces collectivités face aux pollutions industrielles, elle en analyse les causes puis propose des pistes d’actions pour prendre en compte et réduire les conséquences de ces pollutions. Les problèmes recensés relèvent essentiellement du manque de connaissance et de l’absence de dialogue et de coordination entre les acteurs.
Quelles compétences du maire ?
Le maire n’a pas de compétence directe en matière de santé(2) ni d’installations classées mais il est fortement concerné puisque protéger la population est un élément du maintien de l’ordre public au même titre qu’assurer la sécurité. Il a un rôle d’information de la population : il tient à sa disposition toutes les informations dont il dispose sur les risques majeurs (i.e. les risques et conséquences prévisibles pour les personnes, les biens et l’environnement) auxquels la population est exposée. Ces informations sont rassemblées dans le dossier d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) consultable en mairie(3).
Quand il a connaissance d’une exposition, le maire doit mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose : information du public, limitation ou interdiction de certains usages, règles d’urbanisme… Et quand il a connaissance de manquements graves ou répétés, il a un rôle d’alerte : il doit informer les services préfectoraux (l’État).
En cas d’incident ou d’accident, le maire, premier maillon de la chaîne de sécurité civile, organise et dirige les opérations de secours. Pour mener à bien ces opérations (ex. : alerte, mise à l’abri, soutien des populations), il s’appuie sur le Plan communal de sauvegarde (PCS), document d’anticipation à usage interne qui identifie les risques, recense les ressources et présente des procédures claires(4).
Des impacts à différents niveaux
Les contaminations ont des impacts sur les missions des collectivités parmi les plus essentielles comme la distribution de l’eau, la protection des milieux, la gestion des déchets, la gestion du foncier… Elles peuvent entraver le bon fonctionnement des services publics et la mise en œuvre des politiques locales. Et, plus généralement, elles peuvent occasionner des conséquences financières importantes, par exemple s’il faut prendre des mesures pour restaurer la qualité de l’eau ou mener des investigations pour réhabiliter une friche. Le rapport Amaris note que les initiatives engagées sont le fait de collectivités qui ont fait le choix de mobiliser leurs propres ressources budgétaires lorsque cela a été possible au détriment d’autres politiques publiques mais que ces efforts restent financièrement fragiles et inaccessibles à la grande majorité.
Quand la réglementation n’aide pas…
La réglementation liée aux pollutions industrielles est globalement définie au niveau national. Elle ne tient donc pas compte de la différence entre les territoires ou bassins industriels. Pourtant, les enjeux d’une zone industrialo-portuaire ne sont pas les mêmes que ceux d’une vallée encaissée ou d’une région d’agriculture intensive… De plus, la réglementation ne couvre qu’un nombre limité de polluants, ce qui laisse de nombreuses substances dangereuses non surveillées, sans oublier la question, cruciale, des cocktails de polluants encore peu investiguée. Par ailleurs, quand une surveillance environnementale est organisée, elle concerne une ICPE prise individuellement, or la grande majorité des zones industrielles comptent plusieurs d’ICPE.
Le manque de connaissance : problème numéro 1
En matière de pollutions industrielles, le problème majeur des élus locaux est le manque d’information sur les polluants présents sur leur territoire (quelle est leur dispersion ?, leur combinaison ?, leur dangerosité ?, leur répartition spatiale ?…). Une collectivité peut décider de faire mener à sa charge une expertise, une acquisition de connaissances, voire une action préventive. Mais il lui est souvent difficile d’identifier les producteurs d’émissions polluantes, les défaillances d’exploitants ou encore d’établir les responsabilités de chacun. Qui plus est, pour faire reconnaître le principe pollueur-payeur et les financements qui y sont associés, la voie contentieuse est de plus en plus privilégiée, ce qui, là-encore, peut occasionner d’importants frais.
L’ancien, l’existant et les projets à venir
L’héritage industriel, les installations en activité mais aussi les projets à venir en lien avec la réindustrialisation (gigafactories, nouvelles mines…) exposent ou vont exposer les populations à des dangers et des risques. Mais comment évaluer ces risques et répondre aux interpellations des citoyens si on ne dispose pas de données suffisantes ? Depuis la loi Risques de 2003, les collectivités doivent disposer d’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) mais cela ne signifie pas que le maire soit totalement au courant des questions de santé et d’environnement liées aux activités industrielles menées sur son territoire. Et s’il est mal informé en amont, il aura du mal à informer en aval. Pourtant, en tant qu’échelon de proximité par excellence, le maire est l’interlocuteur direct de ses habitants et il se doit de répondre si ceux-ci expriment une gêne, une inquiétude, voire une colère. Pour ne pas répéter les erreurs du passé, tout maire concerné par l’accueil de nouveaux projets d’industrialisation sur son territoire devra faire en sorte d’anticiper le plus en amont possible les questions liées aux éventuelles pollutions. Cela paraît évident sur le papier mais dans la réalité, ce n’est pas si simple.
Organiser le dialogue entre les différentes parties prenantes
Dans le domaine de la pollution industrielle encore plus qu’ailleurs, il ne s’agit pas d’attendre une catastrophe pour mettre les différents acteurs autour de la table. Le maire qui ne peut pas savoir tout sur tout a intérêt à mettre en place un véritable dialogue au sein de sa collectivité. Dans ce domaine, l’initiative des Instituts écocitoyens est particulièrement intéressante. Ces instituts, généralement sous forme associative, rassemblent divers acteurs dont des experts scientifiques et des citoyens qui travaillent ensemble et présentent leurs travaux aux élus locaux qui peuvent ensuite les utiliser.
Lancé à Fos-sur-Mer dès 2010, le premier Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions s’attache à développer une expertise scientifique orientée par les demandes de la population. Autrement dit, il implique la société civile dans la collecte de données et donc la production d’informations sur lesquelles le maire va pouvoir s’appuyer. Cette initiative essaime depuis dans d’autres territoires du pays comme la vallée de l’Arve dans le pays du Mont Blanc, Carcassonne dans l’Aude, Sainte-Pazanne près de Nantes et, tout récemment, le territoire lyonnais.
Quelles perspectives ?
L’association Amaris en appelle à ce que l’impact des pollutions industrielles soit reconnu comme un problème public sinon il sera toujours particulièrement compliqué d’engager des démarches pour trouver des solutions. En parallèle, dans un rapport sur les politiques publiques de santé environnementale(5) remis en octobre à l’Assemblée nationale, le Haut-commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) a souligné « les efforts notables des collectivités pour améliorer la connaissance et mettre en place des solutions » mais déploré « les obstacles notamment financiers et juridiques qui persistent. » Il est grand temps de faire bouger les choses.
1) Association nationale des collectivités pour la maîtrise des pollutions et risques industriels, Amaris réunit les collectivités accueillant sur leur territoire des activités générant des risques industriels.
2) En dehors de la compétence « hygiène et salubrité » pour laquelle il ne dispose pas de leviers.
3) Obligatoire pour les communes ou intercommunalités exposées à au moins un risque majeur, le Dicrim reprend les informations transmises par le préfet. Le maire n’a pas l’obligation de l’actualiser.
4) Obligatoire depuis 2004, le PCS doit être relu une fois par an et révisé tous les cinq ans. De plus, des exercices de mise en œuvre doivent être réalisés au moins tous les cinq ans.
5) Ce rapport « Mieux connaître pour mieux agir » est complété par quatre rapports thématiques : Les pesticides à usage agricole ; les PFAS ; le bruit ; les particules fines : Rapport – Les politiques de santé environnementale
Pour aller plus loin
Le Barpi, bureau d’analyse des risques et pollutions industriels, rassemble, analyse et diffuse les informations et le retour d’expérience en matière d’accidents industriels et technologiques. Selon son rapport 2024, les secteurs les plus accidentogènes en 2024 ont été les IAA (18%), les déchets (12%), l’agriculture / élevage (11%), l’industrie chimique et pharmaceutique (8%) et l’industrie métallurgique (7%). Et les les rejets de matières dangereuses ainsi que les incendies figuraient au premier rang des phénomènes les plus dangereux. aria.developpement-durable.gouv.fr