Face aux trois défis de notre économie que sont le climat, la compétitivité et la résilience, la Commission européenne a dévoilé son Pacte Industrie propre fin février. A quoi correspond ce nouveau pacte, quels en sont les objectifs et les principaux moteurs ? Focus sur les points essentiels.
Un plan pour la compétitivité et la décarbonation de l’UE
Lors de sa présentation le 26 février, la Commission a qualifié le Pacte Industrie propre de « business plan transformationnel qui intègre l’action climatique et la compétitivité dans une même stratégie. » Cet « engagement à accélérer la décarbonation, la réindustrialisation et à renforcer la résilience européenne » a été pris en référence au rapport de Mario Draghi présenté en septembre 2024 et à la « Boussole de compétitivité » (Competitiveness Compass) adoptée depuis.
Le nouveau pacte présente des mesures destinées à stimuler chaque étape de la production. Il met l’accent sur les industries à forte intensité énergétique (acier, métaux, chimie…) qui ont un besoin urgent de soutien à la fois pour se décarboner et passer à une énergie propre mais aussi pour lutter contre les coûts élevés, la concurrence mondiale et les réglementations complexes. Le pacte met aussi l’accent sur les technologies propres « au coeur de la compétitivité future nécessaire à la transformation industrielle, la circularité et la décarbonation. » Et il fait de la circularité (cf. recyclage, réutilisation et production durable) une priorité pour maximiser les ressources limitées de l’UE et réduire certaines dépendances fortes.
Six moteurs principaux
Le Pacte Industrie propre repose sur six moteurs principaux : une énergie abordable ; une demande stimulée de produits propres ; un financement de la transition ; une circularité des matériaux ; une action à l’échelle mondiale ; des compétences et emplois de qualité.
La Commission a élaboré un plan d’action pour une énergie abordable qui comprend des mesures pour réduire les factures énergétiques à court terme et pour accélérer les réformes structurelles. Il s’agit à la fois d’accélérer le déploiement de l’énergie propre en accélérant l’électrification, de parvenir à un marché intérieur de l’énergie et d’utiliser l’énergie plus efficacement tout en réduisant la dépendance aux combustibles fossiles importés. Ceci doit passer par l’augmentation des PPA, la mise en place d’un « European Grid Package » pour simplifier les flux transeuropéens, une réduction des temps de permis des projets (réseau, énergies renouvelables, stockage…), l’élaboration d’une loi Accélérateur de décarbonation et une amélioration du fonctionnement des marchés du gaz.
Le pacte Industrie propre veut mettre les conditions en place pour augmenter la demande de produits propres fabriqués en UE en introduisant des critères de durabilité, de résilience et de « made in Europe » dans les marchés publics et privés. Par exemple, le cadre pour les marchés publics devrait être révisé en 2026.
Accroître le soutien à la transition propre au sein de l’UE nécessite un financement adapté. Le nouveau pacte devrait mobiliser 100 milliards d’euros via une Banque de décarbonation industrielle basée sur les fonds disponibles dans le Fonds pour l’innovation, des recettes supplémentaires liées au SEQE et la révision d’InvestEU (notamment via une augmentation des garanties financières). De plus, un nouvel encadrement des aides d’État devrait voir le jour afin d’accélérer l’approbation des aides en faveur des énergies renouvelables, de la décarbonation de l’industrie et de la garantie d’une capacité de production suffisante de technologies propres. Enfin, un nouvel appel d’offres Horizon Europe doit être lancé fin 2025 pour stimuler la recherche et l’innovation dans ces domaines.
S’agissant de l’accès aux matières premières critiques, la Commission veut accélérer la mise en place du Critical Raw Materials Act (CRMA), un des piliers du Pacte vert. Dans cette optique, outre l’élaboration en cours de la liste de projets stratégiques, un Centre des matières premières critiques de l’UE va être créé pour acheter conjointement les matières et une nouvelle loi Economie circulaire devrait être adoptée en 2026 pour parvenir à l’objectif fixé de 25 % de recyclage.
Consciente qu’elle a plus que jamais besoin de partenaires mondiaux fiables, en particulier dans le domaine des matériaux critiques et des technologies liées aux énergies propres, l’UE va lancer des partenariats internationaux pour le commerce et l’investissement propres pour diversifier ses chaînes d’approvisionnement et conclure de nouveaux accords de coopération. L’objectif est de mieux gérer les dépendances stratégiques et de sécuriser l’UE dans les chaînes de valeur mondiales. Elle va également mettre en place une série d’actions et d’instruments de défense commerciale, à l’exemple des « Guidelines on Foreign Subsidies Regulation » en 2026. Elle va par ailleurs simplifier et améliorer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) qui permet de garantir que les efforts de réduction des émissions de l’industrie européenne ne sont pas sapés par les importations de biens à forte intensité carbone produits hors UE et encourage la décarbonation et la tarification carbone à l’échelle mondiale.
Enfin, soutenir la transition vers une économie à faible intensité carbone suppose de disposer des compétences nécessaires. L’UE va lancer une Union des compétences de manière à donner aux travailleurs les compétences adaptées et assurer aux employeurs qu’ils pourront trouver les expertises dont ils ont besoin. Plusieurs initiatives sont prévues (Quality Jobs Roadmap, Skills Portability Initiative, European Fair Transition Observatory, amélioration du Just Transition Fund…) auxquelles s’ajoute un financement jusqu’à 90 M€ accordé à Erasmus+ pour renforcer ses programmes, en particulier dans les domaines des technologies propres et de la numérisation.
Autres actions prévues
Au-delà de ces six moteurs principaux, le Pacte Industrie propre met en avant plusieurs catalyseurs horizontaux comme la réduction des formalités administratives, une pleine exploitation de l’ampleur du marché unique (via l’intégration programmée de nouveaux candidats, un accent fort sur la numérisation et une accélération du déploiement de l’innovation), la promotion d’emplois de qualité et une meilleure coordination des politiques au niveau de l’UE et des Etats.
Plusieurs plans sectoriels sont déjà en cours (automobile, acier & métal, chimie…) tout comme un plan d’investissement pour les transports durables. En complément, une stratégie Bioéconomie et un Pacte Océan devraient être proposés dans les prochains mois. Destinée à améliorer l’efficacité des ressources et exploiter le potentiel important de croissance des matériaux d’origine biologique en remplacement des matériaux d’origine fossile tout en améliorant les industries connexes, la stratégie Bioéconomie devrait contribuer à réduire la dépendance vis-à-vis des matières premières importées. Quant au Pacte Océan, il permettra de promouvoir l’innovation dans les technologies bleues, les énergies renouvelables offshore et les pratiques de l’économie circulaire dans le maritime.
In fine, peut-on considérer, comme certains, que ce nouveau Pacte Industrie propre constitue un « nouveau chapitre de l’histoire industrielle de l’Europe ? L’avenir nous le dira.
Deux lois « omnibus » pour simplifier les règles pour les entreprises
En plus du Pacte Industrie propre, la Commission a présenté le 26 février deux paquets « omnibus » de mesures* en vue de réduire les formalités administratives et de simplifier l’environnement des entreprises. L’idée est de réduire les charges administratives d’au moins 25 % et jusqu’à 35 % pour les PME.
Ces deux paquets couvrent l’information financière durable (CSRD), le devoir de vigilance (CS3D), la taxonomie, le mécanisme d’ajustement aux frontières (CBAM) et les programmes d’investissements. Les obligations en matière de reporting et celles liées à la déclaration de taxonomie devraient désormais se concentrer sur les grandes entreprises (soit 20 % des entreprises initialement visées) et les échéances fixées devraient être reportées. Concernant la diligence environnementale, les exigences devraient également être simplifiées et les échéances, reportées. Les obligations de CBAM ne seront plus valables qu’à partir de 50 tonnes de marchandises, ce qui en exempte 90 % des importateurs. Enfin, une série d’amendements vise à libérer les opportunités d’investissements. C’est le cas par exemple de l’augmentation de la capacité d’InvestEU jusqu’à 50 Md€ d’investissements publics et privés supplémentaires ou encore d’autres mesures de simplification pouvant générer jusqu’à 350 M€ d’économies.
Les modifications concernant la CSRD, le CS3D et le CBAM doivent être soumises au Parlement et au Conseil. Quant au projet d’acte délégué modifiant le règlement Taxonomie, il sera adopté après consultation du public et s’appliquera après examen par le Parlement et le Conseil.
A noter : Un troisième paquet « omnibus » apportera des clarifications sur les exigences pour les ETI.
* En droit européen, une loi « omnibus » désigne une initiative législative qui regroupe sous une seule proposition des modifications ou révisions de textes existants.
Pour mémoire
- PPA : Power-purchase agreements / contrats d’achat d’électricité
- SEQE : Système d’échange de quotas d’émissions (ou ETS : Emissions trading system). Adopté en 2003, ce système en est à sa quatrième phase (2021-2030).
- InvestEU : Programme de soutien aux investissements pour la période 2021-2027. Il regroupe différentes formes de financement.
- CRMA : Critical Raw Materials Act (16 03 2023)
- CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive (12 12 2022)
- CS3D : Corporate Sustainability Due Diligence Directive (13 06 2024)
- Règlement Taxonomie visant à favoriser les investissements durables (15 06 2020)
- CBAM : Carbon Border Adjustment Mechanism / Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (10 05 2023). Le CBAM (ou MACF) donne un prix pour le carbone émis lors de la production de biens à forte intensité carbone entrant dans l’UE (acier, aluminium, engrais azotés, ciment, hydrogène, électricité). Il devrait être étendu à d’autres secteurs en 2026.