Eolienne, photovoltaïque, véhicules électriques, smartphones, les métaux rares sont au cœur des innovations technologiques qui façonnent désormais notre quotidien. Indispensables aux secteurs de la haute technologie, de la transition énergétique et numérique, mais également de la défense (équipement militaire) et de l’aérospatial, ces métaux stratégiques sont ainsi devenus un véritable enjeu industriel et économique. Pour l’Union Européenne, l’enjeu est d’autant plus important que son approvisionnement dépend entièrement de pays tiers, comme la Chine.
Si on en parle depuis plusieurs années déjà, les notions de métaux rares, stratégiques, critiques mais aussi de terres rares restent relativement floues pour la plupart d’entre nous. Certaines de ces notions relèvent de la géologie, d’autres ont une dimension économique. Il est donc difficile de les mettre sur le même plan. Voici quelques points clés pour chacune d’elles (1)..
Définitions des métaux rares, stratégiques et critiques
Métaux rares
Les métaux rares sont des métaux dont l’abondance moyenne et/ou la disponibilité dans la croûte terrestre (i.e. la capacité à se concentrer en gisements) est faible. C’est le cas par exemple de l’indium, du cobalt ou de l’antimoine. Les terres rares constituent un groupe de dix-sept éléments chimiques (le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides) qui font partie intégrante des métaux rares. Leurs propriétés uniques (légèreté, résistance, stockage d’énergie, résistance thermique, propriétés magnétiques, optiques…) en font des matières premières de choix dans de nombreuses technologies, de la défense aux filières des transitions énergétique et numérique (ex. : aimant permanent, batterie, batteries, système catalytique, etc.…).
Enfin, contrairement à ce que leur nom indique, les terres rares ne sont pas rares, puisque leur concentration dans la croûte terrestre est importante. Elles se caractérisent cependant par une faible présence de leurs gisements, c’est-à-dire de concentrations naturelles dans des niveaux économiquement exploitables (2)., et restent le plus souvent à l’état de “ traces ”.
Métaux stratégiques
Un métal est stratégique quand il est indispensable à la politique économique d’un Etat (cf. sécurité, défense, politique énergétique, etc.). De la même façon, il peut aussi être question de métal stratégique pour une entreprise ou une filière industrielle spécifique (ex. : aéronautique, défense, automobile, électronique & TIC, EnR, nucléaire…).
Quatre métaux sont particulièrement indispensables à la transition énergétique de l’Union européenne : le cuivre, fondamental pour le BTP, les équipements numériques, l’électricité et le transport, le nickel, le lithium et le cobalt, essentiels au développement des véhicules électriques.
Métaux critiques
Selon le Conseil de l’Union européenne, « les matières premières critiques sont des matières premières revêtant une grande importance économique pour l’UE et présentant un risque élevé de rupture d’approvisionnement en raison de la concentration de leurs sources et de l’absence de substituts de qualité et abordables ».
On parle de métal critique quand une difficulté d’approvisionnement de ce métal peut entraîner des impacts industriels ou économiques négatifs. Dans la plupart des travaux internationaux, la criticité d’un métal (comme de toute substance minérale) est appréciée selon deux axes : les risques pesant sur l’approvisionnement (risques géologiques, techniques, géographiques, économiques, géopolitiques) et l’importance économique qui reflète la vulnérabilité de l’économie face à une éventuelle pénurie, voire à une rupture d’approvisionnement, se traduisant par une envolée des cours.
« Pour résumer, les métaux critiques sont des métaux auxquels sont associées des tensions sur les approvisionnements, tant sur l’offre que sur la demande », indique Raphaël Danino-Perraud(3). Pour l’US National Research Council et la Commission européenne, un métal ou un minéral est critique lorsqu’il est « à la fois essentiel dans son usage et sujet à d’éventuelles restrictions d’approvisionnement ».
Un exemple : la criticité du cuivre dans la transition énergétique (TEn)
Dans le cadre du projet ANR GENERATE(4), l’IFPen et l’Iris ont mené une étude prospective sur la criticité du cuivre pour les secteurs de l’énergie et des transports, l’idée étant d’évaluer l’impact de la disponibilité du cuivre dans la TEn vu l’importance du contenu en cuivre des technologies bas carbone par rapport aux technologies conventionnelles. Il en ressort que, quel que soit le scénario envisagé (2 scénarios climatiques – l’un à 2°C et l’autre à 4°C – et 2 scénarios de mobilité), la capacité de production du cuivre va devoir augmenter considérablement. Ce qui n’est évidemment pas sans conséquences.
Ainsi par exemple, le Chili, pays parmi les premiers producteurs mais aussi confronté à un important stress hydrique, étudie la possibilité d’utiliser de l’eau de mer plutôt que de l’eau douce pour les opérations de concentration du minerai. Si l’intention est intéressante en termes de préservation de la ressource eau, elle l’est nettement moins côté impact environnemental. Car non seulement elle impliquerait de transporter l’eau de mer jusqu’aux sites miniers, souvent à haute altitude mais en plus elle nécessiterait de dessaler l’eau, d’où notamment des consommations énergétiques supplémentaires et des rejets de saumure.
Cet exemple tend à montrer que, outre les risques sur l’offre de matière première et l’importance économique et technique de celle-ci, les études de criticité doivent intégrer un troisième axe : les impacts de la production de cette matière première sur l’environnement et la santé. Il ne s’agirait pas d’opposer les solutions pour la transition énergétique et la préservation de l’environnement.
Les matières premières les plus critiques en Europe et en France
Depuis 2011,l’UE établit une liste des matières premières critiques pour son économie, révisée tous les trois ans. En 2023, cette liste en compte désormais 34 (dont 16 matières premières stratégiques), soit 4 de plus qu’en 2020, année de la troisième révision (cf. COM (2020) 474, du 03.09.2020).
Les sources ne fournissent pas de données plus récentes, mais en 2018, les matières les plus critiques en Francet, selon le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), étaient, le tungstène, les terres rares, l’antimoine, les platinoïdes, le cobalt, le scandium et le rhénium. En parallèle, les substances considérées comme les plus stratégiques étaient le tungstène, certaines terres rares (praséodyme, néodyme et dysprosium), le cobalt, le cuivre, le chrome, le nickel, le molybdène, le titane, le lithium, le tantale, le béryllium et certains platinoïdes (platine, palladium et rhodium).
Vers un approvisionnement en métaux rares plus sûr ?
Dans l’Union européenne, les métaux rares sont principalement importés de pays tels que la Chine, l’un des premiers producteurs de ces matières essentielles (97% du magnésium, 86% des terres rares et 100 % de l’approvisionnement de l’UE en terres rares lourdes), le Chili (44% du lithium), le Congo (64 % du cobalt) ou l’Afrique du Sud (71% des besoins de l’UE en métaux du groupe platine).
L’approvisionnement étant soumis à de nombreuses tensions, la Commission européenne a proposé une loi visant à réduire la dépendance de l’UE vis-à-vis de la Chine et des autres pays producteurs et à garantir des chaînes d’approvisionnement sûres et durables, le European Critical Raw Material Act. Elle a été adoptée le 12 décembre 2023 par le Parlement.
1) Merci au BRGM pour son aide précieuse !
2) C’est pour cela d’ailleurs qu’il est délicat de donner un nombre d’années de réserves pour telle ou telle matière, d’autant que les utilisations peuvent considérablement évoluer (comme on le voit actuellement avec le numérique, les EnR ou encore les véhicules électriques) et que des substitutions peuvent être trouvées.
3) Raphaël Danino-Perraud, « Face au défi des métaux critiques, une approche stratégique du recyclage s’impose », IFRI, Décembre 2018. A noter : Nous reviendrons dans un prochain article sur les enjeux du recyclage et le développement des compétences industrielles dans ce domaine.
4) Lancé en janvier 2018 pour deux ans, le projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique) est piloté par Emmanuel Hache (IFPen) et Samuel Carcanague (IRIS). Le cobalt, le platine, certaines terres rares mais aussi le ciment et l’eau feront également l’objet d’analyses. En savoir plus : https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE05-0024