Avec le règlement Reach, l’Europe s’est dotée en 2006 d’une législation inédite pour protéger la santé humaine et l’environnement contre les dangers et les risques liés aux substances chimiques. Elle en a depuis lancé une révision dans le cadre du plan d’action Zéro pollution et de la stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques issus du Green Deal.
Face aux risques que peuvent présenter les substances chimiques, il est impératif d’identifier précisément et au plus tôt leurs propriétés intrinsèques et de prendre des mesures comme l’élimination ou la restriction de celles considérées comme extrêmement préoccupantes. C’est ce qui a motivé le législateur quand il a préparé le règlement Reach il y a presque vingt ans.
Reach : un règlement pour sécuriser l’usage des produits chimiques
A sa publication en 2006, le règlement Reach (pour Regulation, Evaluation, Authorization & restriction of CHemicals) indiquait viser à « assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives (non animales) pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. » Il prévoyait des dispositions relatives aux substances et aux mélanges, ces dispositions étant « applicables à la fabrication, à la mise sur le marché ou à l’utilisation de ces substances telles que contenues dans des mélanges ou dans des articles et à la mise sur le marché des mélanges ». Et, plus généralement, le règlement reposait sur le principe de la responsabilité des entreprises : « il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, mettre sur le marché ou utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou à l’environnement. »
Reach a été complété fin 2008 par le règlement CLP (Classification, labelling, packaging)(1) qui impose la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et mélanges de manière à informer sur les effets des substances (ex. : effets sensibilisants pour les voies respiratoires, effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, etc.).
Les quatre étapes de Reach
- Enregistrement des substances: Les entreprises doivent identifier les risques liés aux substances qu’elles produisent (ou importent) et commercialisent et indiquer comment elles les gèrent. Elles enregistrent ces informations dans une base de données centrale de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa)*.
- Evaluation : L’Echa évalue les informations transmises par les entreprises pour déterminer si une substance donnée présente des risques (analyse de conformité). Puis les Etats membres évaluent les substances. En France, c’est l’Anses qui s’en occupe.
- Autorisation : La procédure d’autorisation vise à ce que les substances extrêmement préoccupantes (ou « SVHC », pour substances of very high concern) soient « progressivement remplacées par des substances ou technologies moins dangereuses quand il existe des solutions de remplacement techniquement et économiquement réalisables. » Au 21 janvier 2025, la liste de SVHC compte 247 entrées.
- Restrictions : Un processus de restriction est prévu « pour certaines substances extrêmement préoccupantes si elles présentent un risque inacceptable pour la santé ou l’environnement. Ces substances peuvent être limitées, voire interdites si nécessaire. »
* Point central du système Reach, l’Echa gère les bases de données nécessaires à l’exploitation du système, coordonne l’évaluation approfondie des informations fournies sur les produits chimiques et gère une base de données publique dans laquelle professionnels et consommateurs peuvent trouver des informations sur les dangers.
Une « Chemicals Strategy » en 2020
La pollution est la principale cause environnementale de multiples maladies et de décès prématurés et une des causes majeures de la perte de biodiversité.
Le Green Deal adopté fin 2019 vise à rendre l’Europe neutre en carbone d’ici 2050 mais il fixe aussi l’objectif de tendre vers une pollution zéro dans l’air, l’eau et les sols.
Publiée quelques mois après (octobre 2020), la Stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques s’inscrit dans cette ambition : elle vise à la fois à mieux protéger les citoyens et l’environnement et à stimuler l’innovation pour des produits chimiques sûrs et durables. Sont ainsi prévues plusieurs actions comme supprimer les substances les plus dangereuses dans les produits de consommation, prendre en compte l’effet cocktail (lié aux mélanges) lors de l’évaluation des risques, faciliter la résilience européenne en matière d’approvisionnement et de durabilité des produits chimiques ou encore jouer, pour l’UE, un rôle de leader mondial en défendant des standards élevés et en n’exportant pas de produits chimiques interdits dans l’Union.
Reach en cours de révision
La révision de Reach fait également partie des actions prévues par cette « Chemicals Strategy ». Il s’agit en effet d’aligner les règles européennes en matière de produits chimiques avec l’ambition Zéro Pollution à horizon 2050 de la Commission, matérialisée dans le Plan d’action « Vers une pollution zéro dans l’air, l’eau et les sols » adopté en mai 2021.
Entré en vigueur début 2007, Reach a évolué en fonction de l’avancement des connaissances concernant les produits chimiques et leurs propriétés. En parallèle, il se heurte à une certaine lenteur de ses processus, principalement du fait que les données fournies par les entreprises peuvent être limitées, caduques ou même absentes des dossiers. Ce qui nécessite des demandes d’informations complémentaires, d’où un délai dans l’évaluation des risques et dans la prise de décision (autorisation ou non du produit, demande de mise sur le marché de substances plus sûres…).
Tout cela, ajouté aux réticences des PME pour se lancer dans une procédure longue et coûteuse, a amené la Commission à lancer la révision du règlement en 2022.
Le processus de révision comprend une évaluation approfondie des incidences possibles de ses modifications potentielles sur la protection de la santé humaine et de l’environnement et sur l’utilisation de l’expérimentation animale. Plus largement, il tient compte aussi du fonctionnement du marché intérieur et des questions de compétitivité et d’innovation de l’industrie et des entreprises européennes.
Pour la Commission, l’analyse d’impact et la proposition de révision doivent « s’appuyer sur les examens et études existants et sur plusieurs nouvelles études qui évalueront les options stratégiques et les incidences ». Le processus prévoit des consultations avec les différentes parties prenantes pour que tous les points de vue et informations ad hoc soient pris en compte. La consultation publique lancée en 2022 devait aborder plusieurs points clés comme la révision des exigences en matière d’enregistrement (exigences accrues en matière d’information, obligation d’enregistrer les polymères en tant qu’éléments constitutifs des matières plastiques) ; l’introduction de facteurs d’évaluation des mélanges ; la simplification de la communication dans les chaînes d’approvisionnement ; la révision des dispositions relatives à l’évaluation des dossiers et des substances ; la réforme des processus d’autorisation et de restriction (dont l’extension des approches génériques de la gestion des risques et l’introduction du concept d’utilisation essentielle) ou encore la révision des dispositions relatives au contrôle et à l’exécution. D’autres échanges ont également été organisés : consultations ciblées des parties prenantes auprès de groupes sélectionnés ; ateliers d’experts et ateliers sur les politiques ; consultation du groupe d’experts « Autorités compétentes pour Reach et CLP », etc.
Quelles évolutions peut-on espérer ?
Si la révision du règlement CLP est parue au JOUE du 20 novembre 2024*, celle de Reach est toujours en cours début février 2025. Mais aujourd’hui les velléités de simplification font craindre des freins, voire un coup d’arrêt aux évolutions attendues. En effet, certains (partis politiques, ministres ou autres), essentiellement intéressés par le court terme, en appellent à des limitations, un report, voire une suspension du Green Deal. Et l’initiative Boussole pour la compétitivité lancée le 30 janvier par la Commission en vue de « regagner en compétitivité et garantir une prospérité durable » place la simplification aux premiers rangs de ses grands catalyseurs. Dans ce cadre, la loi « omnibus »(2) attendue pour le 26 février qui devrait principalement porter sur l’information en matière de durabilité (CSRD), le devoir de vigilance (CS3D) et la taxonomie est annoncée comme la première d’une grande liste…
L’Echa en bref
Depuis 2007, l’Echa travaille à sécuriser l’usage des produits chimiques et veille à l’application de la législation de l’UE sur ces substances : règlements Reach, CLP, Produits biocides et règlement relatif au consentement préalable en connaissance de cause (ou « règlement PIC » pour Prior Informed Consent Regulation). Bisphénols, glyphosate, micro-plastiques, perturbateurs endocriniens, PFAS, phtalates, plomb mais aussi encres de tatouage et maquillage permanent, produits chimiques sensibilisants cutanés et prévention du cancer font partie de ses grands axes de travail actuels.
1) A cet égard, l’Inéris propose un décryptage intéressant des évolutions apportées
2) Une loi « omnibus » est une mesure qui peut modifier plusieurs autres règlements en combinant plusieurs sujets.