En 2022, pas moins de 40,6 milliards de tonnes de CO2 ont été émises au niveau mondial*. Face à cela, les quelque 230 millions de tonnes de CO2 utilisées chaque année peuvent paraître dérisoires. Mais les choses évoluent et toute une filière de valorisation du CO2 tend à se développer. Avec, en ligne de mire, la fabrication de carburants synthétiques, de produits chimiques et de matériaux de construction.

Aujourd’hui, le dioxyde de carbone (CO2) est principalement utilisé pour produire de l’urée exploitée en engrais (130 Mt, soit 57%) et pour assister la récupération de pétrole (80 Mt, soit 34%). Les autres usages (près de 10%) se répartissent essentiellement dans l’industrie agro-alimentaire (eaux gazeuses, amélioration du rendement des serres…) et la métallurgie.

Trois voies de valorisation du CO2

L’utilisation directe

Le CO2 peut être valorisé directement comme c’est le cas depuis les années 1970 pour la récupération assistée de pétrole. Egalement applicable en géothermie profonde (où elle sert à faire remonter les eaux chaudes), cette méthode offre un bon potentiel en France qui a récemment décidé d’accélérer dans le domaine. Le CO2 est aussi utilisé directement dans d’autres applications niches comme le conditionnement alimentaire, la viticulture, le traitement des eaux, les réfrigérants ou le soudage.

La transformation chimique

Une autre voie de valorisation est la transformation chimique, le CO2 étant dans ce cas utilisé comme matière première et réactif. Les possibilités sont multiples : synthèse organique, reformage sec, hydrogénation, conversion thermochimique, électrolyse, minéralisation… Cette voie de transformation permet de fabriquer des produits et composés chimiques dont l’urée, l’acide salicylique (composant de l’aspirine et de produits dermatologiques), des carbonates cycliques (utilisés dans les solvants, les batteries lithium-ion, les peintures et revêtements…) et, bientôt, d’autres produits nécessitant un CO2 pur. Quand elle recourt à l’électrochimie, elle permet de produire des polymères plastiques à l’exemple du polycarbonate (utilisé pour les verres de lunettes, les CD, les DVD…).

 

Carboneo ou la transformation par électrolyse


Créée en 2020, la société Carboneo s’attache à transformer le CO2 émis par les sites industriels fortement émetteurs en matières premières utiles via un système d’électrolyse spécifique. Le monoxyde de carbone (CO) et le dioxygène (O2) ainsi produits sont principalement destinés à l’industrie pharmaceutique (médicaments, compléments alimentaires), l’industrie chimique (polymères) et l’industrie sidérurgique (traitement de minerais). Outre sa capacité à transformer de grandes quantités de CO2, le procédé utilise des catalyseurs moléculaires réalisés avec des métaux abondants comme le fer et le cobalt et non des métaux précieux. Après plusieurs prototypes, un pilote industriel est prévu pour 2025.

Ex. : cimenteries, aciéries, usines chimiques

 

La transformation chimique permet par ailleurs de produire des carburants synthétiques,  généralement via une conversion du CO2 en CO puis une recombinaison avec de l’hydrogène. Outre des initiatives en matière d’éthanol, notons le projet HyScale 100 en Allemagne portant sur la production de méthanol ou encore l’installation par Leroux & Lotz d’un démonstrateur de captage chez AscoMetal à Fos-sur-Mer en vue de produire de l’e-méthane. Les sociétés Dioxycle, Twelve ou encore Prometheus Fuels constituent d’autres acteurs spécialisés dans ce domaine.

Enfin, la transformation chimique permet également de produire des matériaux de construction. On parle de minéralisation ou de carbonatation. A titre d’exemple, l’Américain Blue Planet Systems s’est spécialisé dans la minéralisation dans le béton. Et le Britannique O.C.O. Technology a mis au point une solution qui permet la formation accélérée de calcium carbonate via la réaction entre les déchets et le CO2.

La valorisation biologique

Le CO2 peut par ailleurs être valorisé par voie biologique. Il est alors utilisé comme nutriment pour des organismes qui réalisent la photosynthèse et produisent de la biomasse, sources de produits d’intérêt, l’exemple le plus courant étant les algues. La culture des algues est particulièrement intéressante pour l’industrie agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique (cf. huiles, protéines…), dans le traitement des eaux usées (abattement de l’azote et du phosphore) et dans les biocarburants (ou ‘algocarburants’). Ainsi par exemple, CarbonWorks (jeune co-entreprise de Fermentalg et Suez) produit un bio-composant algal utilisable comme fongicide en substitution des pesticides de synthèse, dans un démonstrateur installé sur un site de méthanisation en Gironde. Elle prévoit un photobioréacteur de taille semi-industrielle pour 2023, grâce à une levée de fonds de 11 M€ en 2022.

Au-delà des algues, notons aussi la solution du Britannique Deep Branch qui propose de remplacer les aliments pour animaux à base de soja par des protéines à base de CO2 recyclé via un processus de fermentation ou celle l’Américain Kiverdi qui développe des bioréacteurs capables de transformer le CO2 en nutriments qui, mélangés avec d’autres, produisent une farine de poisson.

Les freins à lever

Le principal frein de la valorisation du CO2 réside dans l’intensité énergétique des procédés. Face à cela, les systèmes de conversion avancée (électrolyse notamment) et la conversion thermochimique alimentée au solaire semblent les plus intéressants. Un autre enjeu porte sur la question du transport. En effet, le développement de la filière va nécessiter, comme pour l’hydrogène, des pipelines, des terminaux mais aussi des navires et des camions appropriés.

La durée d’immobilisation du CO2 constitue un autre élément important. La valorisation en matériaux de construction offre de fait un temps de séquestration plus élevé que la transformation en produits chimiques (10 ans maxi) ou en carburants (un an maxi). D’ailleurs, dans le cadre de ses travaux pour la filière « captage, stockage et valorisation du CO2 », le CNRS focalise ses recherches en trois axes : activer et transformer le CO2 par des procédés moins énergivores, respecter les principes de la chimie verte et intégrer des analyses économiques et de cycle de vie. Ce dernier axe met l’accent, en plus de la durée du stockage,  sur la question du CO2 supplémentaire émis lors des processus de valorisation.

Quid de la réduction des émissions ?

Pour l’Agence internationale de l’énergie (IEA), valoriser le CO2 n’est pas nécessairement synonyme de réduction des émissions. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte : la source du CO2 (biogénique, capté dans l’air ou fossile – les deux premiers étant plus intéressants) ; le produit ou service que le produit à base de CO2 remplace mais aussi, comme vu ci-dessus, l’intensité en carbone de l’énergie utilisée pour le processus de conversion et la durée de stockage du CO2 dans le produit. L’ampleur du marché pour cette utilisation particulière constitue un autre point important à prendre en compte.

Quoi qu’il en soit, toutes ces démarches de valorisation du CO2 s’inscrivent dans une approche globale d’économie circulaire du carbone et, à ce titre, elles doivent être encouragées.

*Source : Global Carbon Project. Sur ces 40,6 milliards de tonnes, 36,6 Md sont d’origine fossile et 3,9 Md sont liées au changement d’utilisation des terres (déforestation entre autres).

 

À lire  : Méthanisation agricole – quels avantages pour les collectivités ?

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