Commençons par une photo de la méthanisation en France: où en sommes-nous ?
La France compte aujourd’hui 200 unités de méthanisation par injection, et environ 800 unités en cogénération de tailles, en général, plus modestes. Pour l’injection, 1100 projets sont en ce moment à l’étude.
Pour comprendre ces chiffres, il faut avoir en tête quelques ordres de grandeur. Aujourd’hui la consommation de gaz en France est d’environ 450 TWh. Les 172 unités de méthanisation actuellement en service représentent une capacité de plus de 3 TWh.
La file d’attente, qui comptabilise les projets en devenir, totalise aujourd’hui 1100 projets pour une capacité d’environ 26 TWh.
L’objectif est bien de concrétiser ce fort potentiel dans les 4 ou 5 années à venir. On estime d’ailleurs que la cible de 10% de gaz vert d’ici 2030 – qui a été inscrite dans la Loi de Transition Energétique et confirmée dans la Loi Energie Climat et représenterait environ 2000 unités en France – est tout à fait à notre portée.
Quel est la mission de GRDF dans le développement de l’activité biométhane ?
En tant qu’opérateur de gaz, notre ambition à horizon 2050 est de ne distribuer que du gaz renouvelable et que celui-ci ne soit plus importé, mais produit en France.
Au-delà d’assurer la qualité et la sécurité de la distribution de gaz vert, nous agissons dans un cadre de mission publique pour la promotion et le développement de ce gaz vert en France. Notre rôle est d’accompagner les acteurs de la filière pour faire émerger dans les meilleures conditions possibles cette énergie renouvelable sur les territoires.
La particularité du biométhane, c’est que c’est une énergie décentralisée, qui se situe sur les territoires et dont le potentiel lui-même, la biomasse, se concentre dans les territoires. On est en train de basculer d’une énergie importée et gérée en central vers une énergie que les acteurs du territoire peuvent maîtriser et valoriser pour la mettre localement à disposition des entreprises, des collectivités, des particuliers. C’est une petite révolution dans laquelle nous jouons un rôle de catalyseur.
Concrètement, à quoi ressemble cet accompagnement ?
Nous sommes organisés autour de six régions, avec des équipes spécialisées de 10 à 15 personnes pour chacune d’elles. Nous accompagnons ceux qui seront demain nos clients, les producteurs de biométhane.
Un porteur de projet de méthanisation, au moment de se lancer, se pose beaucoup de questions : est-ce que j’ai la quantité de biomasse nécessaire ? est-ce que j’ai un terrain agricole adapté? est-ce que je suis loin du réseau de gaz?… Il vient alors nous voir pour l’aider à y répondre.
Puis, nous lui remettons une étude dans laquelle nous détaillons les conditions dans lesquelles il pourra se raccorder et injecter son biométhane dans le réseau, ainsi que les qualités du biométhane attendues. Une fois qu’il aura pris la décision de lancer son opération, il signera un contrat de raccordement et un contrat d’injection.
Au travers de ces contrats, nous nous engageons à le raccorder à un prix donné, dans un calendrier donné, et à mettre en place un poste d’injection qui nous permettra de vérifier la qualité du gaz, de l’odoriser et de le « compter », ce qui lui permettra de facturer son biométhane au fournisseur auprès duquel il aura signé un contrat de rachat.
En parallèle, nous nous efforçons d’accompagner les futurs producteurs dans leur projet. Nous faisons partie des acteurs de la filière qui sont en mesure d’éclairer les porteurs de projet, de les sensibiliser, de leur donner accès à des informations et à un suivi de la réglementation pour qu’ils puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause.
La méthanisation fait souvent l’objet de débats passionnés. Quels sont les enjeux à prendre en compte pour que la méthanisation soit une solution écologiquement vertueuse ?
Lorsque les exploitants d’unités de méthanisation suivent et respectent les bonnes pratiques, la méthanisation présente de très nombreux atouts pour les territoires.
Oui, les mauvaises pratiques, les négligences, l’utilisation d’équipements non adaptés ou encore l’utilisation non raisonnée d’engrais fossiles ou une irrigation excessive sur des cultures intercalaires peuvent avoir un impact négatif sur les bilans environnementaux.
A contrario, à partir du moment où les agriculteurs se comportent comme des acteurs raisonnables et professionnels en prenant en compte l’importance des ressources naturelles, la méthanisation est très vertueuse. Et, dans la pratique, c’est la très grande majorité des cas !
Au-delà de l’énergie décarbonée, la méthanisation est aussi un exemple fort en termes d’économie locale et circulaire…
Bien sûr ! Et cela fait partie de la définition d’une “bonne” méthanisation. Un méthaniseur doit être alimenté : on fait venir de la biomasse d’un point A à un point B. Le digestat doit être épandu : on passe alors du point B au point C. Si un projet conduit à aller chercher de la biomasse à 300 km et à épandre au-delà de 30 ou 40 km, cela devient très discutable d’un point de vue bilan environnemental.
La notion d’économie circulaire, et c’est ce qui est intéressant dans la méthanisation, c’est qu’elle « colle » complètement à la notion d’énergie territoriale. Il faut qu’elle soit imaginée à une maille géographique relativement restreinte, avec des unités de taille raisonnable pour éviter la mise en œuvre de moyens logistiques trop importants pour manipuler la biomasse et le digestat.
Dans l’idéal, la majorité de la biomasse doit être maîtrisée et apportée par les porteurs de projets eux-mêmes. Cela évite en plus de mettre en concurrence les différentes biomasses sur un même territoire. En sommes, l’enjeu, c’est que la méthanisation soit bien proportionnée à l’échelle de son territoire.
A cette échelle locale, vous parlez souvent de la relation entre milieu urbain et milieu agricole, est-ce un enjeu clé pour l’accélération de la méthanisation ?
Qui dit volume de biodéchets dit milieu plutôt urbain, qui dit méthanisation dit milieu plutôt rural, notamment du fait de la question d’épandage des digestats. La méthanisation peut donc être un maillon pour faire lien entre le milieu urbain et le milieu rural. Puiser des ressources dans les villes, les transformer en énergie et biocarburant et les mettre à disposition des habitants qui ont produit ces biodéchets pour se chauffer et se déplacer. C’est passionnant et ça fait partie de l’intérêt de la solution.
Aujourd’hui on a un sujet autour de la relation entre le monde agri et le monde urbain, avec parfois des fronts “anti écolo » ou des fronts “anti agriculteurs” qui se mettent en place. A travers les boucles locales de la méthanisation, on crée un lien, on facilite le dialogue entre des gens qui n’ont pas toujours envie de se parler, et qui grâce à ça, peuvent entrer dans un écosystème commun dans lequel chacun peut trouver son compte.
Le tri obligatoire des biodéchets à la source à partir de 2024 devrait participer à ce rapprochement. Sommes-nous prêts pour faire massivement rentrer les biodéchets des ménages dans la boucle de valorisation des biodéchets ?
C’est un bel enjeu. Mais le chemin est encore long. Le potentiel de la matière organique est bien là et nous savons séparer et isoler la matière organique par le tri à la source et le déconditionnement, le traitement mécano biologique ayant été « banni » en France. Le défi, c’est bien le captage de cette matière organique.
Il faut garder en tête qu’en milieu rural, la solution est souvent le compostage. En milieu rural, on n’a pas forcément besoin d’un méthaniseur pour valoriser la matière organique, on peut la valoriser chez soi, sous forme de compost, dans des composteurs individuels.
Pour autant, si l’on raisonne en volume, l’essentiel de la matière organique des biodéchets est concentrée dans les villes. Et les villes ont un véritable sujet de collecte. Cela coûte cher de faire passer une benne à ordures ménagères pour collecter 80kg de matière organique par an et par habitant. Sans compter le bilan environnemental.
Parmi les scénarios de collecte imaginés, je pense qu’on pourrait aller vers des systèmes de point d’apport volontaire de notre matière organique. C’est-à-dire avoir des petites poubelles chez soi et les apporter régulièrement au point d’apport volontaire. La méthanisation collective devient alors une solution à regarder, notamment en collaboration avec les acteurs du monde agricole.
Pour revenir sur le déconditionnement, on a l’impression qu’après plusieurs années à être concentré sur la méthanisation et le pouvoir méthanogène des biodéchets, l’attention est maintenant de plus en plus portée sur la qualité du digestat et l’enjeu du retour au sol. Comment voyez-vous cela ?
Nous ne pouvons pas dissocier l’enjeu énergétique et l’enjeu agricole ! Si la méthanisation n’était destinée qu’à la production d’énergie renouvelable, cela n’aurait pas forcément autant de sens.
La méthanisation se conçoit bien parce que c’est à la fois une production d’énergie renouvelable mais aussi une production d’un digestat lui aussi renouvelable qui va permettre un retour au sol et un amendement des sols. Quand 100 tonnes entrent dans un méthaniseur, 90 ressortent sous forme de digestat. Ce n’est pas anecdotique.
Pour les acteurs du monde agricole, la partie énergétique est une source d’équilibrage économique, mais dans beaucoup de cas, leur volonté c’est bien de produire un digestat qui va leur permettre de pouvoir remplacer des engrais fossiles. Ils y voient un avantage en termes de durabilité, de moindre dépendance par rapport à aux engrais minéraux et de réduction des coûts.
Un certain nombre d’études montrent qu’on a une meilleure efficacité en utilisant du digestat versus des effluents d’élevage comme le lisier ou le fumier parce qu’on est plus à même de doser les apports d’azote par rapport aux besoins de la plante.
La partie digestat est primordiale, elle est peut-être l’élément principal de la décision d’un agriculteur-méthaniseur.
Pourquoi encore autant de méfiance ou d’incompréhensions sur le digestat ?
C’est d’abord une question d’image et de pédagogie. Les acteurs du monde agricole sont pragmatiques et demandent souvent « à voir » pour être convaincu. Il faut parfois que le digestat soit utilisé chez un collègue agriculteur une ou deux années et que l’on constate que cela marche bien, pour que ses collègues aient envie de l’utiliser. On est sur une activité pour laquelle les retours d’expérience sont déterminants.
C’est aussi évidemment une question de qualité. Plusieurs études scientifiques confirment l’intérêt et les bénéfices des digestats, notamment en contribuant à l’enrichissement des sols en carbone. Il faut continuer à approfondir ces études et les compléter. Il est important de prouver que, sauf situation particulière, les digestats ont un rôle bénéfique sur les compartiments air/sol/eau.
Le monde du vivant est très complexe et les certitudes ne s’acquièrent qu’au prix de nombreuses études, souvent longues et délicates à interpréter. Au sein de GRDF et dans cette optique, nous menons des actions de R&D sur ces sujets en partenariat avec l’INRAE, Agro Paris Tech et d’autres organismes spécialisés. C’est d’ailleurs une de nos particularités. Contribuer, à travers la méthanisation et la transition agro-écologique, à faire le lien entre le monde de l’énergie et le monde l’agricole.
Après tout, la très grande majorité de nos producteurs sont des agriculteurs !
Les webinaires de Pollutec : « Green Creative: Le déconditionnement vertueux des biodéchets: c’est possible ! »
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