Peu abordée jusqu’aux années 2000, la question du bruit anthropique dans le milieu marin fait désormais l’objet de toutes les attentions. Si elle est à l’origine d’échouages de cétacés aux images toujours impressionnantes, cette pollution concerne une part beaucoup plus importante de la faune marine. Au-delà du constat, que faisons-nous précisément pour prévenir cette pollution ?
Selon l’IFAW(1), le niveau de bruit moyen dans les mers les plus fréquentées a augmenté de près de 20 dB ces 50 dernières années, soit 100 fois plus de puissance sonore et une portée 10 fois supérieure. Or le son est un élément vital pour de nombreuses espèces marines, à commencer par les mammifères marins qui l’utilisent en permanence pour s’orienter, communiquer, se nourrir, éviter les prédateurs, trouver des partenaires… Rappelons que, sous la mer, la visibilité ne dépasse pas quelques dizaines de mètres alors que le son peut se propager sur des centaines, voire des milliers de kilomètres et ce, quatre à cinq fois plus rapidement que dans l’air(2). De nombreuses autres espèces marines sont impactées par la pollution sonore : tortues, poissons, crustacés, mollusques, oiseaux plongeurs et même certains types de zooplancton.
Quels impacts ?
Les impacts des émissions sonores vont de la réaction comportementale (fuite, plongée, modification de la vitesse de nage…) à des lésions physiologiques (altération d’organes, stress) voire létales (échouages ou collisions avec des navires), sans oublier le « masquage acoustique » qui entraîne une modification des modes de communication ou des déviations dans les routes de migration. A plus long terme, les sources sonores d’origine anthropique peuvent générer des perturbations comportementales pouvant aller jusqu’à influer sur la démographie des espèces, par exemple du fait d’un brassage génétique plus limité des populations.
Pas seulement les navires…
Les sources de pollution sonore sous-marine d’origine humaine (il en existe aussi des naturelles) sont liées à plusieurs types d’activités : activités militaires (cf. sonars à haute intensité), industrie du pétrole et du gaz (prospection, recherche de gisements, exploration, production, démantèlement), énergies marines renouvelables (études de terrain, construction, exploitation), pêche et aquaculture (navires et engins spécifiques), activités portuaires (navires, dragage), aménagements côtiers (fonçage de palplanches, enrochement, déroctage), extraction de granulats, trafic maritime, installation de câbles et canalisations (prospection, installation, entretien, démantèlement), plaisance motorisée mais aussi activités de recherche scientifique.
Selon leur type, ces activités émettent un bruit impulsionnel ou un bruit continu. Par exemple, les sondeurs, la prospection sismique par canon à air ou haute résolution, le battage de pieux, le déroctage à l’explosif, les répulsifs acoustiques génèrent des bruits impulsionnels. Tandis que les opérations de forage, les éoliennes et hydroliennes, le vibro-fonçage, le dragage, les navires ou encore les motos marines causent un bruit continu à basse fréquence.
Quelle réglementation ?
Le bruit sous-marin lié aux activités humaines est reconnu comme une pollution et une menace pour les éco-systèmes depuis 2005 par les Nations unies et depuis 2010 par la France. Plusieurs conventions internationales de même que la directive-cadre de l’UE « Stratégie pour le milieu marin » (DCSMM) de 2008 l’intègrent à des niveaux divers. En parallèle, l’Organisation maritime international (OMI) a publié en 2014 des lignes directrices qui relèvent surtout de conseils aux concepteurs, constructeurs et exploitants de navires. Mais globalement, à ce jour, il n’existe aucune réglementation internationale contraignante sur le sujet.
Des mesures pour éviter et réduire
Les mesures possibles relèvent des parties ‘Eviter’ et ‘Réduire’ de la « séquence ERC », matrice des actions pour la biodiversité. En revanche, il n’en existe pas qui permettent de compenser les impacts de la pollution sonore sur la faune marine. Un guide publié en 2020 par le ministère de l’Ecologie (v. ci-dessous) recense ces mesures.
Selon ce guide, pour éviter les impacts des émissions acoustiques en mer, les principales mesures à prendre sont de dimensionner le projet et/ou adapter le calendrier des travaux et leur emprise spatiale à des périodes (ou zones) où aucune espèce n’est présente et d’utiliser des techniques non impactantes pour les espèces présentes. Les mesures visant à réduire ces impacts sont plus variées : outre la planification des travaux permettant d’éviter d’interférer avec une période biologiquement sensible ou une zone fonctionnelle, elles comprennent l’adoption de techniques moins bruyantes ou capables de réduire le bruit à la source de même que le recours à des dispositifs de contrôle de présence et d’éloignement des espèces de la zone de travaux.
A titre d’exemple, pour atténuer les émissions sonores liées au battage de piliers lors de la construction d’une ferme éolienne offshore, des solutions comme les ‘rideaux de bulles’ ou écrans faisant office de murs anti-bruit (avec matériaux tampons, batardeaux, blocs isolants…) peuvent être mises en œuvre. Des dispositifs acoustiques répulsifs (utilisés à l’origine pour éloigner les phoques des fermes piscicoles) peuvent aussi être utilisés mais eux-mêmes génèrent du bruit.
Plus largement, de nombreuses solutions concernent les navires : elles sont aussi bien techniques (hélices propres, conception de la coque, machines à bord…) que comportementales (vitesse limitée, maintien du régime moteur pour éviter le phénomène de cavitation, ne pas actionner la marche arrière à proximité de mammifères marins, couper les sondes de profondeur…).
L’acoustique sous-marine : un marché en émergence
Même si la pollution sonore sous-marine ne fait pas l’objet d’une réglementation contraignante, les porteurs de projets sont fortement incités à l’intégrer dans leurs études d’impact. Plusieurs entreprises se positionnent sur cet aspect. C’est le cas par exemple de Quiet Oceans qui propose des prestations d’analyse et développe des solutions techniques (ex. : bouée Smart-PAM dédiée au contrôle en temps réel de la zone de risque biologique avant le démarrage des travaux). Elle accompagne les industriels lors des études d’impact liées à leurs projets maritimes (ex. : EMR, aménagement portuaire et littoral, prospection sismique…). L’entreprise a participé au projet européen AQUO (Achieve quieter oceans by shipping noise footprint reduction)(3) qui a permis d’identifier des solutions techniques réduisant le bruit généré par les navires (en particulier la cavitation), de développer des outils capables de cartographier ce bruit en temps réel et de développer des technologies d’acoustique passive pour cartographier la distribution des espèces.
Autre exemple, Nereis Environnement, spécialisée dans l’acoustique terrestre et sous-marine, propose notamment des études d’impact acoustique et bioacoustique et des études d’impact du bruit rayonné, études qu’elle réalise à partir de ses propres capteurs, logiciels (traitement de données et modélisation) et bases de données. Sa solution logicielle Silent Ship, dédiée à l’évaluation de l’impact sonore de travaux, structures ou navires sur l’environnement marin, inclut un module d’acquisition, analyse et modélisation et un outil de stockage des données. L’entreprise a été retenue en 2018 dans le cadre du 4e appel à projets Interreg Foresea pour son programme SEAc (Acoustique de la mer). Il s’agissait de déployer une solution d’enregistrement en acoustique sous-marine avec des traitements innovants en analyse spectrale (algorithmes de détection automatique). Un pilote est déjà installé sur le site SEM-REV, premier site européen d’essais en mer multi-technologies connecté au réseau.
1) IFAW : International Fund for Animal Welfare / Fonds international pour la protection des animaux
2) La célérité du son dans l’eau dépend de la pression, de la température et de la salinité de l’eau. Estimée en moyenne à 1500 m/s, elle pourrait être déjà affectée par le changement climatique. En effet, celui-ci induisant une acidification des océans, il provoquerait une accélération de la propagation du son.
3) Depuis, un autre projet a pris la relève : PIAQUO (Practical Implementation of AQUO), piloté par Naval Group. Il a été labellisé en 2019 par les deux pôles Mer.
Pour aller plus loin
– « Bruit des océans : baissez le volume – Rapport sur la pollution sonore des océans », IFAW, Juin 2008, 44 pages.
– Guide « Préconisations pour limiter les impacts des émissions acoustiques en mer d’origine anthropique sur la faune marine », ministère de l’Ecologie, Juin 2020, 212 pages.
– Documentaire Sonic Sea, par IFAW, NRDC et Imaginary Forces. Ce film a reçu un Emmy Award en 2017.
Lire aussi : Rapport 2020 sur l’économie bleue en Europe