La ressource en eau est de plus en plus soumise à un déséquilibre entre, d’un côté, une hausse de la demande et, de l’autre côté, une forte variabilité de la disponibilité liée essentiellement aux aménagements et au changement climatique. En mars 2023, la France a lancé un Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau (Plan Eau) qui a, entre autres, mis en avant la réutilisation des eaux usées traitées (Reut). Deux ans après, où en est-on de sa mise en œuvre ?
Réduire la pression sur les ressources en eau
Adopté en application d’un règlement européen de 2020 devant entrer en vigueur en juin 2023, le Plan Eau compte 53 mesures destinées à organiser la sobriété des usages, optimiser la disponibilité, préserver la qualité de l’eau et améliorer les réponses aux épisodes de sécheresse.
Depuis, des plans de sobriété hydriques ont été réalisés pour cinquante sites industriels à fort potentiel de réduction. Des feuilles de route ont été adoptées pour quinze filières industrielles. Des chartes volontaires ont été lancées dans les secteurs du commerce et de l’artisanat. Et, à mi-avril, les filières touristiques sont sur le point de signer trois plans de sobriété hydrique(1).
Massifier la valorisation des eaux non conventionnelles
Dans le cadre de l’enjeu Optimiser la disponibilité, trois actions clés ont été identifiées. Il s’agit principalement de sécuriser l’approvisionnement en eau potable (cf. réduction des fuites notamment), de massifier la valorisation des eaux non conventionnelles (v. encadré) et d’améliorer le stockage dans les sols, les nappes et les ouvrages.
Définitions
Selon le Cerema, les eaux non conventionnelles désignent les types d’eau autres que celles issues du prélèvement direct dans la ressource naturelle et faisant éventuellement l’objet d’un traitement approprié par rapport à l’usage. La réutilisation des eaux usées traitées ou Reut, c’est à dire la valorisation des eaux résiduaires urbaines ou industrielles après leur traitement en station d’épuration, figure donc parmi les sources d’eaux non conventionnelles au même titre que les eaux de pluie* et les eaux grises. La Reut permet plusieurs types d’usages : irrigation agricole, arrosage des espaces verts, alimentation industrielle (refroidissement de process, nettoyage…) et activités urbaines ou portuaires dont le nettoyage (hydrocurage des réseaux, lavage de voirie…) et la lutte contre les incendies.
*Les eaux de pluie sont les eaux de précipitations captées avant qu’elles n’arrivent au sol par un système de récupération de pluie, à la différence des eaux pluviales qui, elles, ont touché et ruisselé sur le sol.
En France : moins de 1 % du volume d’eaux traitées
La Reut est très marginale en France : elle représente moins de 1 % contre 14 % en Espagne, 87 % en Israël et, à terme, 100 % à Singapour. Le Japon et l’Italie sont, quant à eux, en avance en matière de Reut pour les eaux industrielles avec, respectivement, 78 % et 22 %.
Si moins de 1 % des eaux usées traitées sortant des stations d’épuration sont réutilisées, plus de 99 % sont rejetées dans le milieu naturel, autrement dit elles partent à la mer. A travers le Plan Eau de 2023, le gouvernement a souhaité lancer une dynamique en vue de passer à 10 % d’ici 2030 et de réaliser 1000 projets de réutilisation d’eaux non conventionnelles d’ici 2027 sur l’ensemble du territoire. Plusieurs décrets et arrêtés ont ensuite permis de lever certains freins : ils ont notamment débouché sur une simplification des procédures, la mise en place d’un guichet unique pour le dépôt de dossier (préfet de département), l’autorisation de certains usages dans l’industrie agroalimentaire, etc.
A fin mars 2025, 195 projets d’utilisation d’eaux non conventionnelles sont en service ou en cours d’instruction, dont 170 projets de Reut (21 d’entre eux étaient en service fin 2024). En parallèle, le programme d’accélération de la Reut en littoral mis en place par le Cerema et l’Association nationale des élus du littoral (ANEL) compte 33 collectivités qui sont ou vont être accompagnées pour construire leur stratégie et monter leur projet d’étude d’opportunité ou de faisabilité en vue de bénéficier d’une aide jusqu’à 80 % du coût des études financés par l’Agence de l’eau dont elles dépendent, la Banque des Territoires et l’OFB.
Comme l’indique le Cerema, ces collectivités s’engagent dans la démarche avec des motivations diverses : valoriser l’eau avant son rejet en mer ; répondre aux tensions sur la ressource ; optimiser l’usage de l’eau dans les zones à forte pression saisonnière ; réduire, voire éviter, le rejet des eaux usées traitées en zone sensible (baignade, conchyliculture, biodiversité) ou encore contribuer à prévenir l’entrée d’eau salée dans leurs nappes. Les quatre principaux enjeux partagés sont donc les économies d’eau, l’anticipation des sécheresses, la préservation des milieux et le maintien des activités économiques.
Quels procédés de traitement secondaire ?
La Reut peut mobiliser plusieurs types de procédés pour traiter les eaux en sortie de station d’épuration. Parmi ceux-ci figure le lagunage (traitement des eaux dans plusieurs bassins en série) qui permet un abattement important des paramètres microbiologiques de manière naturelle et sans apport d’énergie mais nécessite une grande surface. Les boues activées constituent un autre traitement secondaire mais nécessitent souvent une étape de désinfection (avec lagune de maturation). Une autre solution possible est le bioréacteur à membrane (BRM) qui associe boues activées et séparation des boues avec une membrane pour affiner le rejet. Certaines petites collectivités recourent à des procédés biologiques en cultures fixées (ex. : biofiltres, disques biologiques ou filtres plantés de roseaux : FPR) qu’elles couplent à une désinfection. En 2022, sur 104 projets en fonctionnement recensés en France, 52 % se faisaient en boues activées, 18 % en lagunage, 5 % en BRM, 4 % en biofiltres ou disques bio et 1 % en FPR, le reste (20%) étant inconnu(2).
S’agissant de la Reut industrielle, de nombreuses innovations voient le jour. C’est le cas par exemple du module de nanofiltration mobile proposé par NSI et NX Filtration, d’un système basé sur la flottation d’Exocell ou encore du couplage de plusieurs technologies par Veolia (BRM, traitement anaérobie avec biomasse granulaire, osmose inverse). Sans oublier le système à base de microalgues que développe la startup Zeni qui permet à la fois d’épurer les eaux industrielles, de séquestrer du carbone et de valoriser les algues principalement en biostimulants.
Vers une Reut en eau potable ?
Comme vu ci-dessus, les usages possibles vont de l’irrigation agricole aux usages urbains en passant par l’arrosage des espaces verts et l’alimentation des process industriels. Il n’est donc pas question de Reut en eau potable. Cependant, un système de potabilisation indirecte est expérimenté aux Sables-d’Olonne dans le cadre du programme Jourdain mené par Vendée Eau(3). Une partie des eaux traitées est récupérée en sortie de station d’épuration (150 m³/h sur 600 m³ /h). Ces eaux sont alors à nouveau traitées dans une station d’affinage (ultrafiltration et osmose inverse basse pression avec membranes, désinfection UV et chloration). Elles sont ensuite acheminées sur plus de 25 km vers un barrage où elles sont rejetées dans une zone végétalisée et mélangées aux eaux de la rivière. Elles transitent ensuite lentement dans la retenue puis vont terminer leur circuit dans l’usine de production d’eau potable qui les rendra consommables. Cette expérimentation, menée sur une période de dix ans, pourrait être répliquée à terme.
1) Cf. hébergements touristiques, filière sport et sites de visite, l’idée étant de « mobiliser les professionnels du tourisme autour de pratiques plus durables et résilientes. » A l’occasion de ces signatures, le 26 avril prochain, les 25 lauréats de l’Appel à manifestation d’intérêt Gestion des ressources en eau dans le tourisme seront également dévoilés.
2) « Panorama de la réutilisation des eaux usées traitées en France – Etat des lieux en 2022 et évolution depuis 2017 », Enquête Epnac menée par Inrae, juillet 2023.
3) Rappelons que la Vendée dispose de sources superficielles (cours d’eau) soumises à un stress hydrique important en période estivale, particulièrement accentuée pour le tourisme.
Bientôt un guide méthodologique sur la Reut
Un guide méthodologique sur la réutilisation des eaux usées traitées est en cours de réalisation par l’entreprise EcoFilae mandatée par l’association Record. Il devrait sortir dans le courant de l’année 2025. L’élaboration de ce guide associant des critères technico-économiques à des critères d’impacts environnementaux et sanitaires devrait permettre aux industriels et aux collectivités de favoriser ces démarches, de prioriser leurs actions et d’orienter leurs choix technologiques vers les solutions les plus adaptées.