Les nouvelles technologies propres de l’énergie – énergies renouvelables, batteries, électrolyseurs, piles à combustibles, systèmes de captage de CO2 – constituent des atouts de taille dans l’optique de concilier compétitivité industrielle et neutralité climatique. Où en est-on aujourd’hui et quels freins ou points de blocage reste-t-il à lever ?

Energies renouvelables : + 10,8 % en France en 2023

Avec 365 TWh d’énergies renouvelables produites sur un total de 1 420 TWh, soit 27 % (contre 72 % pour le nucléaire et 1 % pour les énergies fossiles)(1), la France a vu sa production primaire d’EnR augmenter de 10,8 % en 2023. Cette production est dominée par le bois-énergie (31 %, soit 114 TWh), suivi par l’hydroélectricité (15 %, soit 56 TWh), l’éolien et les pompes à chaleur (14 % chacun, soit 51 TWh), puis le solaire PV, le biogaz et les biocarburants (6 % chacun, soit 23 TWh), les déchets (4 %, soit 14,6 TWh) et enfin la géothermie, les résidus de l’agro-alimentaire et le solaire thermique (près d’1 % chacun, soit env. 3 TWh) et les énergies marines (à peine 0,1 %, soit 0,3 TWh).

Le solaire PV profite de plusieurs facteurs comme le déploiement de l’autoconsommation, l’obligation d’installer des ombrières PV sur les grands parkings (+ de 1500 m²), la solarisation des entrepôts, le développement de l’agri-voltaïsme mais aussi  l’ouverture sur le solaire flottant (ex. : projet de 72,3 MW de solaire flottant sur un total de 74,3 MW porté par Ciel & Terre en Haute-Marne) ou encore le déploiement de systèmes PV souples et amovibles basé sur les couches minces CIGS (ex. : projet de Soy PV bientôt inauguré à Aulnay-sous-Bois).

La production d’énergie éolienne s’est accrue de 37,9 % notamment du fait des bons débuts des parcs éoliens en mer (Saint Brieuc, Fécamp…). Une dynamique qui devrait continuer grâce à l’appel d’offres (9,2 GW) lancé le 18 octobre, devant contribuer à atteindre les objectifs de 18 GW pour 2035 et 45 GW pour 2050. L’éolien flottant devrait aussi se développer grâce à l’appel à projets « démonstration de concepts innovants » d’Horizon Europe jusqu’au 31 janvier 2025 et d’autres soutiens européens comme les 10,82 Mds € prévus sur 20 ans pour les projets d’Oléron et de Centre Manche.

Si le biogaz est une des seules filières à avoir atteint ses objectifs PPE en 2023, il n’en va pas de même pour la géothermie ou le solaire thermique. Malgré son intérêt aussi bien pour la chaleur que pour le froid (climatisation et rafraîchissement), la géothermie assure à ce jour 1 % de la consommation de chaleur en France (un guide ACTEE a été publié cette année pour « stimuler les démarches en collectivités territoriales »). De son côté, le solaire thermique a enregistré une hausse de 8 % en 2023 mais est  encore loin des 6 TWh fixés pour fin 2030 et 10 TWh pour 2035. Il offre pourtant un potentiel considérable tant pour l’industrie (SSC : systèmes solaires combinés) que pour le résidentiel (CESI : chauffe-eau solaires individuels) comme le précise le syndicat spécialisé Enerplan qui demande un véritable plan d’action dédié et souligne que le solaire thermique devrait pouvoir bénéficier des mêmes dérogations que le PV dans le domaine de l’artificialisation des sols.

Avec 54,8 TWh produits en 2023 dans 2 600 centrales hydroélectriques en exploitation, l’hydroélectricité demeure la deuxième source d’énergie électrique en France métropolitaine, derrière le nucléaire (1022 TWh). Elle a atteint ses objectifs nationaux à 99,1%. Le projet de barrage Rhonergia (37 MW devant permettre de produire 140 GWh par an) a finalement été abandonné fin août après plusieurs mois de concertation.

Batteries pour la mobilité électrique : l’effervescence

Le développement des voitures électriques et des solutions de mobilité lourde repose sur une véritable industrie de la batterie. Pour rattraper son retard dans le domaine et réduire sa dépendance, l’Europe s’est lancée dans le projet European Battery Alliance (ou « Airbus des batteries ») qui implique sept Etats membres et auquel sont alloués 6 milliards d’euros. L’idée majeure est de créer des consortiums entre les Etats membres et les entreprises à travers différents projets transnationaux dont la construction de vingt à trente gigafactories sur le territoire européen.

En France, quatre projets sont déjà avancés – ACC, Envision AESC, Verkor, Prologium – dans la « Vallée de la Batterie », au Nord de la France. Ces projets ont déjà reçu près de 17 milliards d’euros d’investissement que ce soit pour l’extraction / raffinage, la production de matériaux ou les installations de recyclage. Ils portent en majorité sur des solutions de batteries lithium-ion. Si celles-ci offrent légèreté et densité de stockage, elles requièrent du nickel, du manganèse du cobalt (les NMC) mais aussi du graphite, en plus du lithium qui, du fait de sa sensibilité aux hautes températures, nécessite d’ajouter un système de refroidissement.

D’autres solutions sont étudiées comme les batteries intelligentes ou encore les batteries au sodium, minéral abondant, facile à utiliser et facile à recycler. De même, la société ACC qui fabrique des batteries lithium-ion NMC à Douvrin devrait produire des batteries LFP (lithium, fer, phosphate) dans ses futurs sites de Kaiserslautern (Allemagne) et de Termoli (Italie). Une autre solution : les batteries solides basées, elles, sur un électrolyte solide à base de polymères et de lithium métallique mince, en est encore à ses débuts.

Hydrogène renouvelable ou bas carbone : concilier offre et demande

Une filière Electrolyse en pleine émergence

La stratégie française en matière d’hydrogène vise notamment à installer une capacité de production d’hydrogène bas-carbone de 6,5 GW en 2030 et de 10 GW en 2035. Seul procédé permettant une production massive d’hydrogène sans émissions de CO2, l’électrolyse de l’eau représentait, en 2020, à peine 6 % du volume d’hydrogène produit, le reste étant issu du gaz naturel (40%), de la coproduction de la pétrochimie (40%) et du charbon (14%). De fait, pour l’UFE, parvenir à l’objectif de 6,5 GW nécessite de multiplier par 700 la capacité d’électrolyseurs du pays en sept ans et d’améliorer le rendement énergétique et la puissance des systèmes.

Le marché de la production d’hydrogène par électrolyse a évolué vers des projets de grande taille et de grande capacité avec plusieurs « gigafactories » comme McPhy à Belfort, Elogen à Vendôme, John Cockerill à Aspach-Michelbach, Genvia à Béziers, Gen-Hy à Montbéliard, la plupart de ces usines(2) présentant une capacité annuelle jusqu’à 1GW. Si l’offre d’hydrogène par électrolyse s’est largement étoffée en France, elle doit aujourd’hui trouver des débouchés et devenir compétitive. Il en va de même à l’international où la capacité totale de production installée a atteint 31,7 GW à fin 2023, ce qui représente sept fois plus que la demande estimée sur l’année 2024.

Les piles à combustible

Les piles à combustible permettent de convertir de l’hydrogène combiné à l’oxygène de l’air en électricité et en eau via une réaction chimique (« oxoréduction »). On les utilise essentiellement dans les transports mais aussi dans les applications portables, la production stationnaire d’électricité, la cogénération ou encore la défense et l’espace. Les PAC offrent de nombreux atouts (pas d’émissions de CO2 ni de bruit, des rendements supérieurs à ceux d’un moteur thermique, une grande modularité, une résistance jusqu’à 1000 °C) mais elles peuvent, selon la source d’énergie utilisée, avoir une durée de vie limitée, une forte empreinte environnementale et présenter un coût élevé.

Alors que le marché de la PAC comptait jusque-là une dizaine d’acteurs dans le monde (Hyundai, Toyota, EKPO, PlugPower…), la coentreprise Symbio (Forvia, Michelin et Stellantis)(3) a inauguré fin 2023 une « gigafactory » destinée à la mobilité lourde (véhicules utilitaires, flottes professionnelles) à Saint-Fons (69). Considéré comme le plus grand site intégré de production de PAC en Europe, l’usine SymphonHy vise une capacité annuelle de production de 20 000 unités en 2028.

De son côté, HDF Energy a lancé début 2024 la production en série de PAC PEM multi-MW dans son usine de Blanquefort (33). Ces PAC sont principalement destinées à la mobilité lourde maritime et ferroviaire mais aussi à la production d’électricité pour les réseaux électriques publics.

Plus récemment, Symbio et l’Allemand Schaeffler ont inauguré à Haguenau (67) le premier site de production en série de plaques bipolaires métalliques, composants stratégiques des PAC. La co-entreprise Innoplate devrait atteindre une capacité annuelle de 50 millions d’unités d’ici 2030.

Captage – stockage de CO: solution de dernier recours

Le captage – stockage de CO2 (CCS en français, CCUS en anglais) désigne toute une filière comprenant la capture du CO2 à la source, son transport, son stockage et sa valorisation éventuelle dans certains types de produits.

La capture à la source concerne essentiellement l’industrie fortement émettrice (ciment, acier, aluminium, chimie…) et l’énergie (raffinage pétrole et gaz…) pour lesquelles il n’existe pas d’alternative pertinente tant en matière d’émissions de procédé que d’émissions thermiques. Elle se fait via trois technologies principales – le captage aux amines, l’oxycombustion et le captage cryogénique.  Mais ces trois technologies s’appuient sur des procédés consommateurs à la fois en énergie, en eau (de 2 à 4 m³ d’eau par tCO2 capturé) et en intrants chimiques indique le Haut conseil pour le climat (HCC) dans un avis publié fin 2023.

Le stockage se fait par injection dans des bassins sédimentaires (bassin aquitain, parisien…), dans d’anciens gisements d’hydrocarbures ou dans des aquifères salins. Pour le HCC, le recours au CCS en France est aujourd’hui « conditionné par la disponibilité en volumes et en sites de stockage dont le potentiel réel est difficilement quantifiable faute de données disponibles » et il pâtit de « l’absence d’un cadre réglementaire rigoureux ».

La valorisation offre plusieurs types de débouchés : e-carburants, produits chimiques intermédiaires, matériaux (ex. : béton) ou encore injection dans certains types de produits industriels, dans des serres ou dans l’industrie agro-alimentaire.

Contrairement aux autres technologies propres comme le solaire PV, les systèmes de CCS ne peuvent être produits en masse car ils sont spécifiquement conçus pour chaque site industriel, précise le World Resources Institute (WRI) qui ajoute que les projets CCS sont difficiles à coordonner car les  étapes du process (captage, transport, séquestration) sont souvent opérées par une société différente.

La France a décidé d’accompagner la mise en place d’une filière CCS : elle a lancé en avril 2024 un appel à manifestation d’intérêt qui a permis d’identifier une centaine d’acteurs intéressés pour développer des solutions de stockage géologique de CO2. De plus, l’appel d’offre lancé en juillet pour soutenir les projets de décarbonation de l’industrie a lui-aussi reçu une centaine de réponses dont des projets CCS déjà identifiés comme pertinents. Rappelons que le potentiel de captage visé par la stratégie  nationale est de 4 à 8 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030 et de 15 à 20 MtCO2 par an d’ici 2050.

Pour le HCC, le recours au CCS doit être réservé en priorité aux usages visant la réduction des émissions résiduelles qui ne peuvent être supprimées à la source, en complément des actions de sobriété et d’efficacité énergétique, et il ne doit pas se substituer aux solutions de décarbonation profonde ni à la conservation / accroissement des puits de carbone des forêts et des sols. De son côté, le WRI recommande que le CCS s’accompagne d’une réelle baisse de la production et consommation de carburants fossiles et du déploiement d’autres options de décarbonation.

 

Le CCS : aujourd’hui 0,1 % des émissions, demain 0,7 % ?


Selon le WRI, à fin 2023, le CCS captait près de 45 MtCO2 au niveau mondial, soit 0,1 % des émissions globales de GES. Si tous les projets actuellement menés dans le monde (une quarantaine) étaient opérationnels, la capacité totale serait de 360 Mt de CO2 par an, soit 0,7 % du total des émissions mondiales. Dans sa stratégie de février 2024, l’Europe vise, à elle-seule, à capter 280 MtCO2 en 2040 et jusqu’à 450 MtCO2 en 2050.

Deux défis principaux

Comme l’a indiqué début octobre Fatih Birol, le président de l’Agence internationale de l’énergie à l’occasion de la sortie de son rapport annuel, la « soif de l’électricité est poussée par l’industrie (décarbonation), l’électromobilité, les besoins de l’IA et des data centers (plus de 11 000 dans le monde) et la climatisation. » Tout cela promet un bel avenir aux technologies propres de l’énergie. Encore faut-il parvenir à relever les deux défis clés que sont la dépendance aux matières premières et l’adaptation des infrastructures énergétiques aux sources d’énergie à faible teneur en carbone .

Réduire la dépendance aux métaux ou minerais critiques ou rares

Une grande part des nouvelles technologies de l’énergie requiert des matières critiques ou rares (métaux ou minerais). Il s’agit certes de faibles quantités par unité mais ramenés aux objectifs de production, les besoins sont considérables. La solution consiste en un mix entre trois axes complémentaires : extraire en Europe ; réduire la demande en matières critiques via, notamment, les produits de substitution ; développer le recours aux matières premières de recyclage. Si beaucoup reste à faire dans chacun de ces domaines, quelques avancées récentes peuvent être notées

Côté extraction, le projet Emili porté par Imérys vise à exploiter à Echassières (03) une ancienne mine de kaolin pour en extraire du lithium. Le site permettrait de fournir de quoi équiper 70 000 véhicules électriques par an. D’autres projets portent sur l’extraction de lithium dans les eaux des installations géothermales déjà existantes (ex. : BRGM et Lithium de France ou encore Eramet et Electricité de Strasbourg).

En matière de substitution, dans la filière hydrogène, GenHy travaille sur des électrolyseurs AEM dotés de catalyseurs à base de nanoparticules de nickel, en remplacement de l’iridium et du platine. De même, le CNRS a annoncé courant 2024 la production d’hydrogène vert via une électrode constituée de carbone et de cobalt, un métal non précieux.

S’agissant du recyclage, si des solutions existent pour les platinoïdes, les terres rares, le cobalt et le nickel, elles sont encore limitées pour d’autres matières comme le lithium, l’indium, l’antimoine ou le germanium. Les étapes majeures du désassemblage et de la séparation restent compliquées pour des produits qui, souvent, se trouvent en mélange. Au-delà d’entreprises entièrement spécialisées comme Weecycling notamment, des solutions intéressantes apparaissent dans le traitement des boues hydrométallurgiques ou des scories de la pyrométallurgie des non ferreux.

Adapter l’infrastructure énergétique aux nouvelles sources d’énergies (réseaux, stockage)

La production renouvelable implique une nouvelle répartition géographique des sources de production d’électricité et une plus grande variabilité des flux entrants auxquelles s’ajoutent désormais des besoins accrus (mobilité, chauffage, électrification d’usines…).  Face à cela, RTE et Enedis travaillent à la modernisation et à la consolidation des réseaux. Pour RTE, cela se traduit par un redimensionnement de certaines lignes (puissances plus élevées), la modernisation des postes de transformation, la construction de nouvelles lignes (interconnexion européenne, raccordement de parcs éoliens offshore…), la numérisation du réseau (poste de contrôle-commande notamment) et le développement des flexibilités de consommation, domaine qui prend de l’ampleur comme en témoigne le plan d’action lancé mi-octobre(5). Quant à Enedis, il prévoit de consolider son réseau à travers un plan d’investissement de 5 milliards d’euros par an jusqu’à 2040 avec, en priorité, le renforcement des postes sources liés à la mobilité électrique, en particulier près des autoroutes.

S’agissant du stockage d’énergie, de nouvelles initiatives ont également vu le jour en 2024. Par exemple, Eiffage Energie Systèmes et Entech ont créé une coentreprise dédiée aux projets de stockage sur batteries raccordées au réseau haute tension. Les projets visés concernent des unités de stockage par batteries régionales ou nationales connectées au réseau haute tension. Parallèlement à cela, un programme de recherche européen (« Treasure ») lancé en juillet et associant Newheat, Engie Solutions et la communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées vise à développer un système de stockage de chaleur en fosse(4) à grande échelle, relié au réseau de chaleur urbain.

 

1) Pour mémoire, la France est engagée à accélérer le développement des EnR en vue d’atteindre 33 % d’EnR en 2030 et la neutralité carbone en 2050.

2) Certaines, comme GenHy, sont basées sur la technologie alcaline AEM (Anion Exchange Membrane). D’autres, comme Elogen, utilisent la technologie PEM (Proton Exchange Membrane).

3) Symbio a connu un développement phénoménal depuis son lancement en tant que SymbioFCell (essaimage du CEA Grenoble) et ses premières apparitions sur le salon Pollutec au début des années 2010.

4)  Ou « Pit Thermal Energy Storage : PTES.

5) Lancement du plan d’action, publication du baromètre des flexibilités et lancement de la nouvelle marque collective Flex Ready par Think Smartgrids, RTE, Enedis, Gimelec et Ignes le 16 octobre 2024.

 

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