En 2009, la France organisait un Grenelle de la mer sur les mêmes bases que le Grenelle de l’Environnement tenu deux ans plus tôt (cf. approche en cinq collèges, dialogue, concertation…). Dix ans plus tard, le Conseil national de la mer et des littoraux en dresse un bilan et pointe les questions majeures qu’il reste à approfondir. En voici les grandes lignes.

Le Grenelle de la mer a indéniablement permis de créer une communauté de travail et d’échange sur l’ensemble des sujets liés à la mer. Cependant, des champs doivent encore être élargis et d’autres aspects doivent être accentués comme, en particulier, la nécessité d’aborder certaines approches de manière conjointe, restaurer la confiance dans l’innovation ou encore conforter le socle de connaissances et de recherches.

S’agissant des champs à élargir, les auteurs du bilan considèrent que les interactions entre le national et les façades-bassins (CNML et CMF-CMU) doivent encore être améliorées(1). Pour eux, il convient de ne pas limiter l’interface terre-mer à la bande littorale mais de mieux articuler les planifications terrestres et marines et les planifications sectorielles et maritimes. Par exemple, si l’on traite de la pollution en mer, c’est l’impact de l’ensemble des bassins versants qu’il faut prendre en compte. L’articulation entre planification en mer et à terre devrait être plus évidente.

Aujourd’hui, les questions liées à la protection de l’environnement et du développement économique et social, l’économie maritime et l’économie des territoires mais aussi les activités professionnelles et usages de loisirs (avec en particulier l’accès à l’espace et aux ressources) constituent autant d’approches traitées séparément. Les auteurs préconisent de les aborder de manière conjointe pour plus d’efficacité.

Autre point important : les auteurs souhaitent aussi que soit redonnée à l’innovation toute la confiance qu’elle mérite, qu’il s’agisse d’innovation technologique (ex. : navires ou ports du futur, exploration à impact limité…) ou d’innovation méthodologique, organisationnelle ou de gouvernance (ex. : valeur des services écosystémiques, indicateurs socio-économiques pour la pêche…).

Enfin, ce bilan met fortement l’accent sur la nécessité de conforter la connaissance et la recherche, la mise à disposition des informations constituant « un élément essentiel pour apprécier les balances à trouver entre coûts environnementaux et sociaux et gains économiques ».

 

Encore beaucoup à faire

D’une manière générale, les engagements pris à l’issue du Grenelle de la mer ont « conduit à des évolutions » mais « pour beaucoup les sujets traités sont encore à l’ordre du jour ». Une stratégie nationale Mer & Littoral a été lancée de même qu’une stratégie de gestion intégrée du trait de côte. Mais il faut encore avancer sur des aspects cruciaux comme les responsabilités, les outils juridiques et le financement. Comme vu ci-dessus, la question de l’articulation entre les différents documents de planification est toujours d’actualité de même que celle de leur mise en œuvre opérationnelle. A cet égard, les auteurs constatent que les décisions stratégiques ne prennent pas suffisamment en compte l’échelon local.

En matière de biodiversité, des progrès ont été réalisés (cf. approches, collectes de données, définition et application de mesures…). En témoignent, par exemple, la création d’un réseau d’aires marines protégées, l’extension du domaine d’action du Conservatoire du littoral, l’élaboration du plan d’action Ifrecor(2) ou encore les mesures prises pour les mammifères marins. Cependant, l’évaluation de l’état écologique du milieu marin et de l’état de conservation des espèces et habitats, l’omniprésence des pollutions, les risques liés aux décharges sous-marines de munitions chimiques et les diverses crises écologiques survenues récemment montrent qu’il faut poursuivre et élargir les approches, en intégrant notamment les effets cumulés des pressions subies par les écosystèmes. A ce jour, la proportion d’espaces sous protection forte reste de 0,1%…

Le CNML suggère que l’Etat s’appuie sur les collectivités pour « mieux porter une bonne utilisation du milieu marin et donc du littoral et faire la promotion des solutions basées sur la nature, notamment outre-mer ». Dans l’immédiat, trois facteurs de pression méritent d’être mieux documentés et évalués : les prélèvements de la pêche de loisirs, les pollutions plastiques et la prolifération des sargasses.

Algues sargasses

S’agissant des industries maritimes, le CNML estime qu’elles ont pleinement profité du dynamisme insufflé depuis dix ans : réorganisation de la filière, renouvellement et élargissement du CSF Industries navales, développement des énergies marines renouvelables(3), démantèlement des navires, mise en place d’une filière REP pour les bateaux de plaisance ou de sport en fin de vie(4), etc.

Par ailleurs, concernant les transports maritimes et les activités portuaires, une stratégie de relance portuaire est déployée depuis 2013, avec une déclinaison spécifique pour l’outre-mer depuis 2016. Une nouvelle stratégie nationale logistique et portuaire est à l’étude. Les questions liées à la transition écologique et énergétique des transports y auront toute leur place (ex. : navires moins polluants et moins émetteurs de GES,  risques liés à la conteneurisation, etc.).

Enfin, s’agissant de la recherche, des évolutions notables peuvent être citées avec, en particulier, le programme mer d’Allenvi et les travaux du COMER. En parallèle, les capacités d’observation de l’océan ont fortement progressé aussi bien en mer(5) qu’au niveau spatial. Une cartographie des forces de recherche publique est en cours auxquelles pourraient être jointes les forces de recherche privée à terme. Les auteurs appellent à la mise en place d’un grand programme de R&D Mers & Océan, dans l’idéal porté par plusieurs ministères (recherche, écologie, secrétariat général à la mer).

 

Les pouvoirs publics mobilisés

Lors de la réunion du CNML mi-novembre, Brune Poirson avait rappelé les priorités d’actions de son ministère dans le domaine Mer & Littoral : zéro artificialisation nette, adaptation à l’évolution du trait de côte, préservation de la biodiversité. De son côté, le président Macron, venu inaugurer les Assises de l’économie de la mer le 3 décembre, a rappelé qu’il souhaitait booster la croissance bleue et soutenir l’innovation maritime. Il a notamment manifesté son soutien à la coalition pour la transition écologique et énergétique du maritime proposée par le Cluster maritime français et a annoncé le lancement d’un programme prioritaire de recherche Océan & Climat avec déjà 20 M€. Nous suivrons bien sûr les avancées réalisées dans les mois et les années qui viennent.

 

L’innovation sous toutes ses formes


Dans le domaine de la mer et du littoral, l’innovation doit faire l’objet d’un mix équilibré. Il ne s’agit pas d’opposer l’innovation technologique et les autres types d’innovation, l’essentiel est d’être bénéfique pour l’environnement marin. De fait, le panel de solutions est large : il va des solutions fondées sur la nature aux applications spatiales permettant d’observer l’océan ou les proliférations algales, en passant par les ailes pour navires ou encore la lutte contre l’érosion du littoral.

On suivra ainsi avec intérêt les résultats de l’appel à projets du MTES « Solutions fondées sur la nature pour des territoires littoraux résilients » clos le 31 octobre dernier, autant que les avancées réalisées dans le cadre du partenariat signé mi-novembre par Géocorail et le Cerema ou encore les résultats obtenus par le déploiement des nouveaux flotteurs profonds Deep-Arvor dans le cadre d’Euro-Argo, contribution européenne au réseau international Argo, dont le siège est basé à l’Ifremer Brest.

 

1) CMF-CMU : Conseils maritimes de façades et ultra-marins

2) Initiative française pour les récifs coralliens

3) Il s’agit notamment de confirmer l’essor de l’éolien flottant tout en rattrapant le retard de l’éolien posé.

4) L’Ademe estime leur nombre à 150 000.

5) A titre d’exemple, près de 4 000 flotteurs autonomes Argo mesurent in-situ la température et la salinité entre 0 et 2 000 m de profondeur dans l’ensemble des océans. Des mesures sont également réalisées à partir de navires océanographiques.

 

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