On en parle beaucoup depuis plusieurs mois et elle est déjà en partie en vigueur depuis janvier dernier. Mais qu’est-ce que véritablement la CSRD ? Et surtout, qu’induit-elle concrètement aux 50 000 entreprises européennes concernées ?

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est l’un des textes du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) en lien avec la finance, aux côtés, notamment, des règlements Taxonomie et SFDR et de la CSDDD(1). Elle offre un cadre d’analyse structuré, fondé sur un langage commun et normé en vue de renforcer la transparence des entreprises en matière de durabilité dont elle couvre tous les sujets : environnement, climat, social et gouvernance.

De nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier sont fixées (v. encadré). Portant sur trois niveaux d’informations (normes transverses, sectorielles et d’entité(2)), les données collectées doivent permettre de mieux évaluer l’impact des entreprises et de leur activité sur l’environnement. Ces informations doivent être certifiées par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant accrédité.

 

Les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards)


Les entreprises soumises à la CSRD doivent réaliser leur rapport conformément aux normes élaborées par l’EFRAG, groupe consultatif pour l’information financière en Europe. Parmi les douze normes applicables figurent 2 normes transversales (grands principes et informations générales), 5 normes environnementales (changement climatique, pollution, ressources aquatiques et marines, biodiversité & écosystèmes, utilisation des ressources & économie circulaire), 4 normes sociales (effectifs de l’entreprise, travailleurs de la chaîne de valeur, communautés touchées, consommateurs et utilisateurs finaux) et une norme sur la conduite des affaires (informations sur les dispositifs anti-corruption, éthique, pratique de paiement des fournisseurs).

Chaque entreprise évalue au sein des questions de durabilité prévues par ces normes celles qui sont importantes au regard de sa situation propre et de sa chaîne de valeur. Pour Pascal Durand, député européen rapporteur de la directive, il s’agit de « vraies normes qui sont les mêmes pour tous ». On entre ainsi « dans une rigueur de reporting comparable à celle pratiquée sur les informations financières ».

A noter : initialement prévue en juin 2024, l’adoption des normes sectorielles est reportée à juin 2026, avec une application pour les entreprises de pays tiers d’ici 2028 (décision votée par le Parlement européen le 10 avril dernier). Les normes sectorielles portent sur les secteurs suivants : agriculture, élevage, pêche ; charbon & mines ; énergie & services publics ; alimentation & boisson ; pétrole & gaz ; textiles, accessoires, bijoux, chaussures ; véhicules à moteur ; transport routier.

 

Harmoniser les pratiques de reporting extra-financier en Europe

D’une manière globale, la CSRD vise à harmoniser les pratiques de reporting extra-financier en Europe pour pouvoir disposer d’informations fiables et comparables sur la performance non-financière des entreprises, d’où la grille commune avec 1200 points d’entrée couvrant les différents impacts, risques et opportunités (IRO). Les investisseurs tout comme les organisations de la société civile, les consommateurs et d’autres parties prenantes pourront ainsi y voir plus clair sur les performances des entreprises en termes de durabilité.

La CSRD va beaucoup plus loin que la directive Transparence de 2014, dite NFRD (pour Non Financial Reporting Directive) applicable depuis 2017. Les entreprises ne doivent plus seulement inclure une déclaration descriptive de leur performance extra-financière dans leur rapport de gestion mais bien montrer comment elles s’y prennent et quels sont leurs résultats. Par exemple, sur le climat, elles doivent décrire leur trajectoire et les investissements prévus pour chacune des mesures prises. On sort du seul déclaratif, ce qui permet d’offrir une nouvelle vision de la performance.

La double matérialité, une notion majeure de la CSRD

Outre des exigences de reporting plus élevées et un périmètre élargi (près de 50 000 entreprises aujourd’hui, contre 11 000 concernées par la déclaration de performance extra-financière – DEPF), la CSRD s’appuie sur le principe de double matérialité. Les entreprises doivent évaluer aussi bien la manière dont les enjeux environnementaux et sociaux affectent leur performance financière que l’impact de leurs activités sur la société et l’environnement. On parle communément de matérialité financière et de matérialité d’impact.

Deux points clés à prendre en compte : la chaîne de valeur dans son ensemble…

La CSRD vise à vérifier comment les droits humains, sociaux et environnementaux sont respectés tout au long de la chaîne de valeur d’une entreprise. La mesure des politiques mises en place et des différents impacts de l’entreprise doit donc porter sur l’ensemble du périmètre de l’entreprise et de ses fournisseurs.

…et le degré d’implication des parties prenantes

Une condition sine qua non est la nécessité d’une implication forte des différentes parties prenantes, y compris au plus haut niveau de l’entreprise : conseil d’administration, COMEX, comité d’audit… Ce n’est pas qu’un vœu pieu car le cadrage stratégique revêt ici une grande importance.

Pour l’instant, les entreprises choisissent souvent entre leur direction financière et leur direction RSE pour s’occuper de la CSRD mais un binôme des deux semble plus approprié car complémentaire. De plus, cela s’inscrit dans l’optique de développer une culture commune à toutes les directions de l’entreprise.

Comment s’y prendre concrètement ?

Se lancer dans une démarche CSRD s’appréhende comme une vraie gestion de projet. Cela suppose avant tout de procéder à une analyse fine des besoins qui, ensuite, permettra d’appréhender la chaîne de valeur et, enfin, de réaliser la double matérialité, selon le cabinet Des Enjeux et des Hommes(3).

La gestion du projet CSRD passe par une étape fondamentale de l’analyse des besoins : état des lieux (périmètre, maturité RSE, personnes à impliquer, ambition du projet…), formation (administrateurs, COMEX, personnes clés, contributeurs…), collecte des données (quels contributeurs ?, quels outils existants ?(4)…), audit et ressources humaines et financières disponibles. Le cabinet DEDH souligne  l’importance ici d’avoir un pilote avec un vrai pouvoir d’influence et une vision transversale et collaborative.

La phase d’appréhension de la chaîne de valeur suppose de bien identifier les activités de l’entreprise, ses parties prenantes et ses métiers représentatifs. Il sera nécessaire ici de bien articuler entre devoir de vigilance, cartographie des risques et double matérialité. Notons que si la responsabilité de la chaîne de valeur est étendue, l’ensemble est étalé dans le temps (3 ans), ce qui permet une démarche progressive.

Enfin, s’agissant de la réalisation de la double matérialité, DEDH propose d’objectiver, désiloter et enrichir (cf. liste d’enjeux, grille de cotation et des seuils appropriés, identification des impacts, risques et opportunités, consultation et cotation de ces IRO, synthèse). Il conseille d’aller dans une démarche incrémentale sur la connaissance des sujets et souligne le rôle fondamental des experts et des parties prenantes.

Une opportunité pour l’entreprise de changer de modèle

Pour beaucoup, la CSRD apparaît comme une contrainte. Mais pour ses initiateurs, du fait qu’elle permet un travail sur la performance et la résilience des organisations et qu’elle se fonde sur la double matérialité qui questionne à la fois l’entreprise aujourd’hui et l’entreprise demain, elle constitue une opportunité de transformer son entreprise pour répondre aux enjeux toujours plus stratégiques de durabilité et ainsi assurer sa pérennité. Une clause de révision est prévue en 2028.

1) Le règlement européen (UE) 2019/2088 dit Sustainable Finance Disclosure (SFDR) porte sur la publication d’informations relatives à la durabilité dans le secteur des services financiers. Il a été publié en novembre 2019 et est entré en application en mars 2021. Ses normes sont entrées en vigueur en janvier 2023. Le règlement UE 2020/852 dit Taxonomie établit quant à lui un système de classification unique qui vise à distinguer de façon transparente les investissements « verts » des autres investissements. Il a été publié en juin 2020 et est entré en vigueur le mois suivant. Il est applicable depuis le 1er janvier 2022. La CSDDD ou CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive / directive sur le devoir de vigilance des entreprises) oblige les grandes entreprises européennes ou exerçant en Europe à respecter les droits humains, sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur. Adoptée au Parlement européen le 24 avril 2024, elle entrera en vigueur en 2027.

2) Sont concernées par l’application de la CSRD en 2024 les grandes entreprises et entreprises cotées déjà concernées par la NFRD puis, en 2025, l’ensemble de ces entreprises. En 2026, ce seront les PME cotées, institutions de crédit et compagnies d’assurance captive (i.e. appartenant à une société industrielle ou commerciale dont l’activité n’est pas l’assurance) et en 2028, les entreprises non européennes avec filiales.

3) Cf. webinaire « CSRD : vers une transformation des orientations stratégiques ? » organisé mi-avril avec le Comité 21.

4) A titre d’exemple, la société Watershed développe un logiciel permettant aux entreprises de collecter et gérer leurs données ESG. Ce Watershed for CSRD englobe plus de 1100 indicateurs de la directive.

Pour aller plus loin :

La Global Reporting Initiative (GRI), Pascal Durand, député européen et rapporteur CSRD, et le groupe Lefebvre – Sarrut ont publié le 15 mai le guide « CSRD Essentials » qui permet de simplifier les aspects clés de la nouvelle directive. Destiné aux décideurs politiques et aux journalistes spécialisés dans le développement durable, ce guide comprend onze briefings principaux qui expliquent le CSRD de manière accessible.
(https://www.globalreporting.org)

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