Accélérer le verdissement de l’économie et la décarbonation de l’industrie constitue l’un des cinq axes de travail retenus par le Conseil national de l’industrie (CNI) lors d’une réunion de son comité exécutif en mai dernier. Depuis, trois appels à projets spécifiques ont été lancés pour un montant total d’1,2 milliard d’euros d’ici 2022 dans le cadre du volet « Transition écologique » de France Relance. Mais qu’entend-on exactement par « décarbonation de l’industrie » et est-ce si nouveau que cela ?

Selon les chiffres repris par la nouvelle SNBC(1), les émissions françaises de GES étaient de 445 MteqCO2 en 2018. L’industrie représentait 17,75% de ce total avec 79 MteqCO2, derrière les transports (30,78%), l’agriculture/sylviculture (19,32%), le bâtiment (18,87%) et devant l’énergie (10,73%) et les déchets (3,14%). Entre 1990 et 2017, les émissions industrielles ont baissé de 47%  en particulier grâce à des gains d’efficacité énergétique et à l’amélioration de procédés. Cependant, l’objectif de neutralité carbone (i.e. équilibre entre émissions et absorption) en 2050 fixé par la loi Energie-Climat du 8 novembre 2019 implique de porter les émissions totales du pays à 80 MTeqCO2 d’ici 2050. Pour l’industrie, cette trajectoire se traduit par une baisse de 81% des émissions par rapport à celles de 2015. Il faut donc accélérer.

 

De quoi parle-t-on exactement ?

De manière très basique, décarboner l’industrie signifie optimiser les process et procédés pour les rendre plus sobres en carbone. Aujourd’hui, les deux tiers des émissions industrielles de GES sont issues des industries énergo-intensives : acier, aluminium, ammoniac, ciment, chlore, éthylène, papier-carton, sucre, verre. Mais dans certains de ces secteurs, le potentiel de décarbonation reste faible avec les technologies existantes. C’est le cas notamment pour l’acier, l’éthylène ou l’aluminium mais aussi, à un niveau moindre, pour le ciment, le sucre et le verre. Dans ces secteurs, les émissions sont difficiles à abattre et changer le mix énergétique pour des EnR ne pourra pas suffire. Les autres secteurs (papier-carton, chlore et ammoniac) affichent un potentiel plus élevé. Notons à cet égard, que l’Ademe élabore actuellement des plans nationaux de transition bas-carbone pour chacun de ces neuf secteurs.

 

Quelle conscience de l’urgence climatique chez les dirigeants de PME et ETI ?


Une étude de Bpifrance Le Lab montre que, même si 80% des dirigeants de PME-PMI ont conscience de l’urgence climatique, peu d’entre eux intègrent la question dans leur stratégie d’entreprise*. Plus précisément, seuls 13% des dirigeants déclarent pouvoir réduire « de manière importante » leurs émissions carbone dans les cinq prochaines années. Ce qui bloque, selon l’étude, ce sont les moyens financiers, l’absence de solutions technologiques ou le manque de reconnaissance clients. Pour les aider dans leur transition, les dirigeants attendent notamment un soutien fort des pouvoirs publics : incitations financières (subventions, aides fiscales) ou évolutions réglementaires. L’étude confirme en outre que ce sont encore les dirigeants les plus convaincus qui en font le plus (ex. : sélection de fournisseurs sur critères environnementaux, écoconception, choix d’énergies décarbonées…).

*« Les dirigeants de PME-ETI face à l’urgence climatique », Bpifrance Le Lab, juillet 2020

 

La décarbonation en quête de projets…

A travers sa sous-direction des matériels de transports, de la mécanique et de l’énergie, la Direction générale des entreprises (DGE) au sein du ministère de l’Economie pilote de nombreux projets comme l’émergence d’une offre française de batteries pour la mobilité, le déploiement de l’industrie du futur auprès des PME, le développement des technologies hydrogène (mobilité et énergie) et la mise en œuvre des six contrats de filières signés (industries des nouveaux systèmes énergétiques, industries de la mer, automobile, aéronautique, ferroviaire, nucléaire). Le projet « Décarbonation de l’industrie » a pour objectif d’accompagner les filières industrielles dans l’identification des solutions mobilisables pour décarboner et dans la construction de leurs trajectoires de réduction des émissions. Il a aussi vocation à les accompagner en développant de nouveaux dispositifs pour qu’elles disposent d’un cadre propice à la mise en œuvre des actions de décarbonation identifiées. Plus largement, il entend contribuer à l’ensemble des travaux ayant un impact sur la décarbonation.

Dans le cadre du volet « Transition écologique » de France Relance, le gouvernement a lancé début septembre via l’Ademe deux appels à projets et un appel à manifestation d’intérêt. Les AAP (clos le 20 10) portaient l’un sur l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés et utilités (cf. subventions de projets d’investissements supérieurs à 3 M€) et l’autre, sur la chaleur bas-carbone et l’usage de chaudières biomasse dans la continuité de ce qui se faisait déjà (AAP BCIAT notamment). Ils seront appuyés par un nouveau mécanisme de soutien au fonctionnement devant permettre de compenser les coûts additionnels liés à l’utilisation de combustibles décarbonés et par un AMI sur la production de chaleur issue de combustibles solides de récupération (CSR).

Plus spécifiquement axé sur l’adaptation des procédés, l’appel à manifestation d’intérêt (clos le 9/11) était plus spécifiquement axé sur l’adaptation des procédés. Il doit permettre de recenser ce qui est déjà en cours dans les usines pour faire évoluer les procédés, en dehors des projets d’efficacité énergétique ou de production de chaleur bas carbone déjà couverts par les AAP. Il s’agit par exemple d’initiatives en vue d’électrifier la production ou encore de favoriser de nouveaux usages matière. A partir de là, des appels à projets dédiés seront lancés en 2021 et 2022.

A eux-trois, ces AAP et AMI bénéficieront d’une enveloppe totale d’1,2 milliard d’euros d’ici 2022, dont 200 M€ dès 2020. Ce soutien doit, selon le gouvernement, « permettre à l’industrie française de se moderniser tout en réduisant significativement ses émissions de gaz à effet de serre et de se placer sur une trajectoire durable vers la neutralité carbone ».

 

La récupération et la valorisation de chaleur dans l’industrie, éléments clés de la décarbonation

Au-delà de solutions spécifiques favorisant l’efficacité énergétique ou l’intégration des énergies renouvelables(2), décarboner la production passe aussi par la récupération et la valorisation de la chaleur générée lors du fonctionnement des procédés. L’enjeu ici est double dans la mesure où cela permet aussi de s’inscrire dans une démarche d’économie circulaire.

Selon l’Ademe, l’industrie a consommé 302,6 TWh de combustibles (pour les fours, séchoirs, chaudières…) et 117 TWh d’électricité en 2017(3). Plus d’un tiers de l’énergie combustible consommée a été rejeté sous forme de chaleur, i.e. 109,5 TWH dont 52,9 TWh à plus de 100°C. Parmi les principaux gisements de chaleur fatale figurent les buées des séchoirs, les fluides de refroidissement des systèmes frigorifiques, les fumées des chaudières, les fluides de refroidissement des compresseurs d’air et de froid, la chaleur sensible des produits en sortie de four (cf. acier, clinker, verre) et les eaux de nettoyage. Il est possible de convertir la chaleur en électricité sur des rejets de plus de 300°C via des machines ORC (à cycle de Rankine) ou des turbines. Mais dans la plupart des cas, des échangeurs de chaleur sont utilisés.

 

Quelques success stories en récupération de chaleur fatale

La chaleur récupérée peut être réinjectée directement dans les process de l’usine (préchauffage ou chauffage), servir à chauffer les locaux ou contribuer à la production d’eau chaude sanitaire. Diverses évolutions technologiques ont vu le jour ces dernières années. A titre d’exemple, l’entreprise Clauger a mis au point la Pile énergétique chaude qui récupère la chaleur contenue dans les rejets fatals de l’usine, la stocke et restitue l’énergie sous forme d’eau chaude au moment et au niveau de température souhaités. Une installation de 110 m3 en circuit fermé a ainsi été installée chez un de ses clients de l’agroalimentaire. Autres exemples, CNIM a récemment fourni un système de récupération de chaleur (cf. pompe à chaleur à absorption, laveur et 14 échangeurs de chaleur air-eau) pour valoriser la chaleur jusque-là perdue produite par un séchoir (buées) de Wienerberger, leader autrichien des tuiles et briques. De son côté, Eco-Tech Ceram a installé son système phare Eco-Stock sur le site de Tegulys, autre fabricant de tuiles et de briques (Corrèze). Le système, conçu à partir de céramiques réfractaires, capte et stocke la chaleur fatale du four de cuisson pour la valoriser, en fonction des besoins, dans le séchoir et la chambre de pré-cuisson. Ce projet devait être inauguré le 20 novembre dernier.

 

1) Adoptée en 2015, la Stratégie nationale bas-carbone a été révisée en 2019. La deuxième version a été publiée en mars 2020. V. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf

2) Ex. : électrification de la production de clinker, passage au vecteur hydrogène dans la production d’acier ou d’ammoniac, déploiement d’électro-technologies (IR, UV) pour les process de chaleur, recompression vapeur mécanique pour des températures élevées, etc.

3) « La chaleur fatale», coll. Clés pour agir, Ademe, Septembre 2017.

 

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