Dans sa dernière évaluation mondiale, l’IPBES montre que les activités humaines ont déjà altéré 75% du milieu terrestre et 66% du milieu marin et que, sur huit millions d’espèces animales et végétales connues, près d’un million sont menacées(1). L’organisme appelle à déployer « de toute urgence des efforts concertés qui entraînent des changements en profondeur ». Les entreprises qui, par leurs pressions et impacts, constituent une des causes de la perte de biodiversité peuvent aussi constituer une solution.

La biodiversité joue un rôle central par les services éco-systémiques qu’elle rend : régulation, approvisionnement, services culturels et services de soutien. Son érosion est due à cinq facteurs principaux : les changements d’usage des terres et de la mer, la surexploitation des ressources naturelles(2), les changements climatiques, la pollution (solide, liquide, gazeuse mais aussi sonore et lumineuse), l’introduction d’espèces exotiques envahissantes.

 

Un rapport d’interdépendance

Pour mener à bien leurs activités, les entreprises dépendent de nombreux services issus de la biodiversité : elles puisent dans le milieu naturel – matières, énergie, eau, sols – pour assurer leurs processus. Elles ont aussi des impacts au niveau de leurs sites de production et à travers leurs produits en phase d’utilisation et en fin de vie. L’ensemble de ces pressions et impacts constitue l’empreinte biodiversité de l’entreprise.

Mais, contrairement à l’empreinte carbone qui se mesure avec un indicateur unique (la tonne de CO2 émise), l’empreinte biodiversité peut se mesurer par des indicateurs non seulement nombreux mais aussi variables. Ce qui rend difficiles les comparaisons et a fortiori les mesures et actions à mettre en place. Notons que la CDC Biodiversité et son club B4B+ ont lancé mi-mai le Global Biodiversity Score, un outil de mesure d’impact sur la biodiversité, après cinq ans de développement et d’évaluation critique.

. Un autre point caractéristique de l’empreinte biodiversité est que de nombreux impacts sur la biodiversité ne concernent pas le territoire national où un produit est consommé mais se font à travers les importations, l’exemple le plus emblématique étant la déforestation importée(3).

Si toutes les filières économiques ont des impacts sur la biodiversité, certaines en ont plus que d’autres. C’est ainsi que dans un récent rapport sur le sujet(4) la plateforme RSE s’est focalisée sur les industries agro-alimentaires (IAA), le bâtiment et les matériaux, la chimie et l’énergie. Elle y analyse la prise en compte de cette empreinte par différentes entreprises dans leur reporting extra-financier, présente diverses bonnes pratiques et propose une série de recommandations. Dans les IAA – ou la cosmétique, autre industrie fortement dépendante de la biodiversité – l’approche se fait essentiellement par les risques. Il n’en va pas de même dans le bâtiment et l’aménagement déjà cadrés par des normes et réglementations spécifiques.

 

Le rôle des entreprises

Selon la CDC Biodiversité, « 40% de l’économie mondiale repose sur des services rendus par la nature dont une grande partie est menacée par l’érosion de la biodiversité ». Le Forum économique mondial en a pris conscience et met l’érosion de la biodiversité et les changements climatiques aux premiers rangs des cinq risques les plus menaçants pour notre société. Mais si l’érosion constitue une grave menace pour les activités des entreprises, que font concrètement ces entreprises pour y remédier ? S’attachent-elles à faire le minimum nécessaire à leur production ou sont-elles engagées dans des démarches beaucoup plus larges ?

Au regard des vingt objectifs d’Aïchi définis en 2010 lors de la COP 10 Biodiversité à Nagoya, les entreprises ont deux axes d’intervention possibles : intégrer la biodiversité dans leurs activités opérationnelles pour réduire les pressions qu’elles exercent sur les écosystèmes et/ou mobiliser des ressources financières.

 

 

Eviter, réduire, compenser (ERC) : une doctrine de base

En 2012, le ministère de l’Ecologie a mis en place la « séquence ERC » qui doit s’appliquer à tout projet d’aménagement ou de développement économique local en matière de biodiversité. Suivant ce principe, les entreprises comme les autres acteurs économiques doivent avant tout mener des actions pour éviter les impacts de leurs activités sur les écosystèmes (actions pour préserver les milieux dont elles ont besoin). Si cela ne leur est pas possible, elles doivent s’efforcer de réduire ces impacts. Enfin si aucune de ces actions (éviter ou réduire) ne leur est possible, alors elles peuvent, en dernier recours, envisager une solution de compensation. L’un des écueils ici est que toute action de compensation doit avoir la même durée que l’aménagement ou l’ouvrage prévu. Par exemple, dans le cadre de la construction d’un pont dont la durée de vie est estimée à soixante ans, les actions de compensation doivent être prévues pour soixante ans…

S’agissant de la mobilisation des ressources financières, la CDC Biodiversité estime que les ressources allouées à la préservation de la biodiversité sont à ce jour de 50 milliards USD par an (les ¾ étant d’origine publique) alors que les besoins seraient d’au moins 150 milliards USD. Les entreprises peuvent mener des actions de soutien de type actions de partenariat, de sensibilisation, de formation ou encore de recherche. Il peut s’agir entre autres d’actions de réintroduction d’espèces ou de reforestation. En revanche, tout ce qui relève des études d’impact, des inventaires ou des cartographies ne peut être pris en compte car ce n’est qu’une stricte application de la réglementation.

 

Orée, pionnière dans la thématique Economie et biodiversité


Une des premières à s’être emparées du sujet de la biodiversité au prisme du développement économique des entreprises est l’association Orée. Dès 2008, elle a publié l’ouvrage devenu référence «  La biodiversité dans les stratégies des entreprises : le bilan biodiversité des organisations ». Depuis, à travers son groupe de travail dédié, elle propose des ouvrages, organise des événements clés et son expertise l’amène à être régulièrement consultée dans le cadre de l’élaboration des stratégies et textes législatifs. Elle gère et anime la plateforme de l’Initiative française pour les entreprises et la biodiversité (www.entreprises-biodiversité.fr) qui, entre autres, capitalise les retours d’expérience. Elle a fait partie du comité de pilotage de l’initiative Act4Nature, une démarche lancée mi-2018 par EpE, l’Afep et le Medef et devenue depuis initiative « Entreprises engagées pour la nature – Act4nature France ». Et cette année, l’association a publié « Initiatives de prise en compte de la biodiversité par les entreprises aux niveaux mondial, européen et national » et s’est associée au Défi Biodiversité lancé par la communauté d’experts Engage en vue de « convertir dix entreprises moyennes en pionnières de la biodiversité ».

 

Toute la difficulté pour une entreprise par rapport à la biodiversité, c’est de savoir où mettre le curseur. Par exemple, une démarche volontaire d’éco-conception permettant de limiter réellement l’utilisation de matières premières vierges sera-t-elle intégrée dans l’approche d’économie circulaire de l’entreprise ou dans une action concrète pour limiter son empreinte biodiversité ?

 

Quel lien entre biodiversité et pandémie ?


Les spéculations vont bon train sur les origines de la pandémie qui nous frappe actuellement. Transmission directe, indirecte, recombinaison génétique… ?  Il faut laisser les scientifiques faire leur travail et prendre le recul nécessaire. Cependant on peut constater que les épidémies liées à des zoonoses (maladies dont un animal constitue le réservoir de l’agent infectieux) se multiplient depuis une cinquantaine d’années. Au cours de cette même période, nous avons accéléré la destruction de milieux naturels (en particulier forestiers) qui constituent l’habitat naturel de nombreuses espèces. Ce qui a entraîné des rapprochements entre espèces qui jusqu’alors ne se côtoyaient pas. A cela s’ajoutent l’internationalisation toujours plus forte des échanges, de nouvelles approches en termes d’agriculture (en particulier l’élevage) ou encore le braconnage et le commerce d’animaux sauvages.

L’IPBES organise d’ailleurs, du 27 au 31 juillet, un atelier sur le lien entre biodiversité et pandémie. Ce sont ainsi vingt experts sélectionnés dans différentes disciplines qui plancheront ensemble sur cette plateforme virtuelle. Ils produiront un rapport qui sera publié en septembre après un processus de peer review. A suivre donc.

 

1.« Evaluation mondiale de la biodiversité et des services éco-systémiques », Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services éco-systémiques (IPBES), Mai 2019, https://ipbes.net/

2.Plus de 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont extraites dans le monde chaque année, en hausse de près de 100% depuis 1980 (IPBES).

3.Exemples de matières premières issues de la déforestation : soja, huile de palme, cacao, boeuf, cuir, bois, pâte à papier, caoutchouc d’hévéa…

4.Avis « Empreinte biodiversité des entreprises », Plateforme RSE, France Stratégie, Sylvain Boucherand et al., Janvier 2020, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rse-avis-empreinte-biodiversite-entreprises-mars-2020_0.pdf

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