Etat dégradé des nappes phréatiques, insuffisance des précipitations…, les voyants sont déjà au rouge en France en matière de ressource eau en ce printemps 2022. Le Comité d’anticipation et de suivi hydrologique s’est réuni mi-mai pour faire le point sur la situation et renforcer les mesures d’économie d’eau. Si concernant l’industrie, toute l’attention est aujourd’hui tournée vers la décarbonation, il ne faut pas oublier que le secteur mène des actions dans la gestion durable de l’eau depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, cette marche vers l’efficacité hydrique est favorisée par l’intégration de solutions numériques.
Selon les derniers chiffres disponibles(1), 32,1 milliards de m³ d’eau douce ont été prélevés en 2018 en France, dont 50 % pour le refroidissement des centrales électriques, 17 % pour l’alimentation des canaux, 16,5 % pour la production d’eau potable, 9 % pour les usages agricoles et 8 % pour les usages industriels.
A part ceux destinés à l’agriculture, ces différents prélèvements sont en baisse depuis 2003. Ainsi par exemple, dans le bassin Artois-Picardie, les prélèvements pour l’industrie ont été divisés par trois en trente ans. Et dans le bassin Seine-Normandie, sur 3,8 millions de m³ d’eau économisés en 2021, pas moins de 95 % des économies ont été réalisées par des entreprises.
Quelles actions pour préserver la ressource ?
L’eau est une ressource souvent vitale pour l’activité industrielle : quel que soit le secteur (chimie, pharmacie, cosmétique, papier, acier, pétrole & gaz, IAA…), elle est utilisée dans les processus de fabrication, de transformation, de lavage, de dilution, de refroidissement, de transport, etc. Le déploiement des systèmes de management environnemental et les avancées réglementaires ont conduit à la mise en œuvre de nombreuses actions et démarches pour l’économiser.
Selon l’industrie et le type de production, l’exploitant peut notamment réduire les gaspillages, réutiliser les eaux de process, déployer des circuits fermés (« boucles courtes » en interne)(2), optimiser (voire changer) ses équipements et process ou encore récupérer l’eau de pluie. Ces solutions, qui peuvent être couplées entre elles, offrent parfois d’autres avantages environnementaux comme en témoignent certains des exemples suivants.
Réutiliser les eaux de process
Le groupe Guerbet, spécialiste des produits de contraste pour l’imagerie médicale, a mis en place sur son site de Lanester (56) un système de réutilisation des eaux de process qui lui permet de réduire sa consommation en eau mais aussi ses rejets polluants. L’eau épurée et filtrée sert à refroidir les gaz de combustion de son incinérateur. En 2021, l’usine (dont le seuil de consommation est fixé à 187 500 m³ d’eau du réseau) a réduit sa consommation de 30 000 m³. Ce projet a été distingué par les Trophées de l’Eau 2021 de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne.
Le groupe sucrier Tereos a déployé une démarche de réutilisation des eaux condensées et réduit ses consommations d’eau de forage sur son site de Connantre (51). Dans le cadre d’un programme en cinq ans, l’usine a mis en place un bassin de stockage et s’est équipée d’un nouveau lavoir qui lui a permis de réduire de 50 % le volume d’eau en circulation. Au final, entre 2018 et 2021, la quantité d’eau puisée dans la nappe phréatique a été quasiment divisée par trois.
De son côté, l’usine Michelin de Golbey (88) qui transforme chaque année 80 000 tonnes de produits métalliques destinés à la structure des pneus a décidé d’installer deux systèmes de recyclage des eaux de process. Un des systèmes recycle l’eau (et sa chaleur) avec un potentiel de 25 000 m³ par an : l’eau ainsi produite est utilisée en appoint pour les tours aéroréfrigérantes. L’autre système recycle l’eau dont le pH est inférieur à 3. L’eau produite, également utilisée en appoint pour les TAR, sert aussi pour l’eau chaude sanitaire. Ce projet a été présenté dans le cadre d’un cycle de webinaires « Eau & Industrie » organisé par le pôle Hydreos.
Récupérer l’eau de pluie
Pour d’autres, la préservation de la ressource en eau passe par la récupération d’eau de pluie. Par exemple, le site Renault de Maubeuge l’a déjà intégrée il y a quelques années. Plus récemment, l’entreprise de travaux publics et d’aménagements extérieurs Wicker Sas l’a adoptée dans le cadre d’un projet visant à donner une autonomie à la fois hydrique et énergétique à son site de valorisation des déchets de chantier à Hochfelden (67). Sur cette plateforme, dont le bâtiment est totalement couvert de panneaux solaires, l’eau de pluie est récupérée et traitée avant de servir à arroser les pistes d’accès et à nettoyer les camions. Ce projet a été distingué par les Trophées de l’Eau 2021 de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse.
La data au service de l’efficacité hydrique
Economiser l’eau passe par une connaissance fine de ses consommations. Ce qui est aujourd’hui largement facilité par les technologies numériques. Celles-ci en effet autorisent des études de diagnostic précises (état des lieux, cartographie des flux et usages…) permettant d’identifier les points d’amélioration et de risque pour l’industriel et de proposer les préconisations les plus adaptées. A titre d’exemple, Aquassay, entreprise spécialisée dans l’efficacité hydrique et la digitalisation qui travaille en partenariat avec BWT, propose de mettre en place une gestion industrielle des eaux industrielles via l’appréciation du coût global des usages.
Les quelques exemples ci-dessus le montrent : la performance hydrique est plus que jamais un élément fondamental pour la transition écologique de l’industrie. Et en plus de son rôle de prévention, de simplification des opérations et de gestion des risques, elle contribue à diminuer ses coûts, ce qui en fait un véritable levier de croissance stratégique.
Les Agences de l’eau : des aides possibles
Après la cartographie des usages et la mise en place de systèmes automatisés de supervision, les actions mises en œuvre commencent souvent par une optimisation des équipements existants. Elles peuvent aussi passer par des investissements dans de nouvelles technologies. A ces différents niveaux, les entreprises peuvent bénéficier d’aides techniques et financières de l’Agence de bassin dont elles dépendent.
1) « Bilan environnemental de la France – Edition 2021 », coll. Datalab, SDES, Mars 2022.
2) A contrario, les « boucles longues » désignent les opérations menées dans le cadre d’une symbiose industrielle (ou « écologie industrielle territoriale »).
À voir : L’industrie 4.0 est-elle compatible avec une réduction de l’impact environnemental ?