La demande en matières premières critiques (métaux de base, matériaux et terres rares) va considérablement augmenter dans les années à venir du fait des transitions (écologique, énergétique et numérique) mais aussi de l’accroissement de leur utilisation dans d’autres industries et secteurs clés comme le spatial, la défense ou encore la transmission et le stockage des données. Le Conseil et le Parlement ont adopté mi-novembre un accord provisoire qui renforce les objectifs de la législation spécifique présentée par la Commission en mars dernier(1). Où en est-on aujourd’hui ? Et plus particulièrement pour le lithium ?
Qu’appelle-t-on véritablement « matières critiques » ?
Les matières sont considérées comme critiques quand elles présentent un risque élevé de rupture d’approvisionnement : les ressources sont fortement concentrées et il n’existe pas, ou peu, de substituts de qualité abordables. L’UE en recense 34 dont 17 stratégiques (lithium, terres rares lourdes ou légères, silicium métallique, gallium, manganèse, germanium, graphite naturel, bismuth, titane métal, bore, platinoïdes, tungstène, cobalt, cuivre et nickel).
Une dépendance élevée
L’UE est particulièrement dépendante de ces matières. A titre d’exemple, elle dépend à 100 % de la Chine pour les terres rares lourdes, à 98 % de la Turquie pour le bore et à 71 % de l’Afrique du Sud pour le platine. La Chine lui fournit également une bonne part de son approvisionnement en barytine, bismuth, gallium, germanium, magnésium, graphite naturel, scandium, terres rares légères, tungstène et vanadium. Mais en plus, elle dispose de capacités de raffinage pour la plupart des matières, même celles dont elle ne dispose pas dans son sous-sol. Les pays d’Amérique latine ne sont pas en reste : le Chili fournit à l’UE 79 % du lithium et le Brésil, 92 % du niobium.
Notons toutefois que l’Espagne fournit 99 % du strontium, la France, 76 % de hafnium, la Belgique, 59 % de l’arsenic, la Pologne, 26 % du charbon à coke et 19 % du cuivre, la Finlande 38 % du nickel, et la Norvège, 33 % du silicium métal. De plus, un important gisement de terres rares a été découvert en début d’année près d’une vaste mine de fer en Suède. S’il est déjà question d’en extraire le phosphore, les terres rares et le fluor via une nouvelle technologie favorisant la circularité, dix à quinze ans seront nécessaires avant d’aboutir à l’exploitation et la commercialisation.
Face à cette dépendance, l’UE a fixé cette année de nouveaux objectifs pour 2030. Ainsi, au moins 10 % de la consommation annuelle devront être issus d’une extraction dans l’UE, au moins 40 % devront avoir été transformés dans l’UE et au moins 25 % devront être issus du recyclage (vs 15 % dans une version précédente du texte). Et s’agissant des sources externes, pas plus de 65 % de la consommation ne devront venir d’un seul pays tiers pour chaque matière stratégique.
Ceci doit notamment permettre d’assurer les approvisionnements clés des différentes giga-factories en cours de construction, à l’exemple notamment de Verkor et de ProLogium dans la « vallée de la batterie », près de Dunkerque.
Le lithium en ligne de mire
Si certaines estimations placent l’aluminium, le cuivre, le nickel, le silicium et le manganèse aux tout premiers rangs des matières les plus demandées et dont la demande va encore s’accroître, le lithium est aussi particulièrement recherché. Selon l’AIE, la demande en lithium a triplé de 2017 à 2022 et les besoins pourraient quadrupler dans les dix ans à venir. A cet égard, le rapport de Philippe Varin avait été très clair : « nous devons exploiter tous les gisements d’Europe »(2).
En France, par exemple, la société Imérys devrait extraire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium sur son site de production de kaolin dans l’Allier dès 2028 (projet Emili). De son côté, la société Viridian devrait affiner 25 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an dans le Bas-Rhin dès 2025 (projet CoRaLi).
Ces deux projets font partie des cinq retenus dans le premier appel à projets de production et de recyclage des métaux critiques sur le sol national lancé par le gouvernement en janvier 2022 après la remise du rapport Varin.
Les autres projets portent sur le recyclage de batteries par Eramet et Suez (projet ReLieVe inauguré à Trappes mi-novembre, la phase industrielle devant débuter en 2025) et sur l’extraction de métaux critiques contenus dans les DEEE (Sanou Koura dans les Ardennes et WEEECycling en Seine-Maritime). D’autres projets d’extraction de lithium sont à l’étude dont celui de Sudmines dans le Puy-de-Dôme et celui d’Eramet dans des installations géothermales d’Alsace.
Un recyclage qui se structure
Même s’il fait face à un défi majeur lié aux très faibles quantités dans les produits finis et à leur fusion avec d’autres matériaux, le recyclage des métaux critiques se développe et voit l’apparition de solutions toujours plus innovantes. Le recyclage du lithium est, lui, freiné par un taux de collecte trop faible des batteries (- de 10 % des volumes existant), par la volatilité du niveau des prix du lithium sur les marchés et par les coûts encore élevés du recyclage par rapport à ceux de la production primaire.
Face à cela, l’Europe a adopté un nouveau règlement (« Batteries et déchets de batteries ») le 12 juillet dernier. Outre des objectifs de collecte par les producteurs, il fixe un objectif de valorisation du lithium à partir des déchets de batteries de 50 % d’ici fin 2027 et 80 % d’ici fin 2031. Il définit également des niveaux minimaux obligatoires de contenu recyclé pour les batteries industrielles, les batteries SLI (démarrage, éclairage, allumage) et les batteries de véhicules électriques (16 % pour le cobalt, 85 % pour le plomb, 6 % pour le lithium et 6 % pour le nickel).
Quelles technologies de recyclage ?
Outre le démontage et la séparation mécanique (broyage, tamisage, criblage, filtration), les batteries peuvent être traitées notamment par hydrométallurgie qui associe extraction, dissolution et séparation de matériaux à basse température par des réactions chimiques dans des solutions aqueuses ou par pyrométallurgie qui couple l’évaporation des solvants (300°C), l’incinération des plastiques et de l’électrolyse (700°C) et la fonte (1475°C) des oxydes de métaux en alliages qui sont ensuite affinés (cuivre, cobalt, nickel et fer) ; le lithium, le silicium et les autres métaux étant, eux, obtenus à partir des scories.
La « blackmass », un concentré de nickel, cobalt, manganèse, lithium et graphite obtenu à partir de la lixiviation des matériaux de cathode et d’anode, peut être utilisée en complément de ces procédés, comme dans le projet Eramet / Suez qui comprendra une usine amont de démantèlement et de production de blackmass et une usine aval d’hydrométallurgie. De son côté, Orano teste depuis début novembre sur ses pilotes industriels un nouveau procédé couplant un prétraitement qui aboutit à la production d’une matière active sous forme de poudre et hydrométallurgie. Ce prétraitement permet de préserver les matériaux d’intérêt et de générer des sels de nickel, cobalt, manganèse, lithium à un niveau de pureté élevé.
A noter également : l’appel à projets « Recyclage, Recyclabilité et Ré-incorporation des Matériaux » a retenu deux nouveaux projets de recyclage de batteries : l’un porté par Veolia, Solvay et Renault, basé sur l’hydrométallurgie et l’autre, porté par Mecaware et Verkor, destiné à recycler uniquement les rebuts de production de la giga-factory de batteries, l’objectif étant de traiter de 6 000 à 8 000 tonnes par an.
Une « diplomatie des matériaux »
On le voit, entre l’exploitation de mines, le déploiement de capacités de raffinage et le renforcement du recyclage et de la valorisation, l’UE s’efforce toujours plus de développer son autonomie stratégique. Ceci ne peut se faire sans passer par une diversification de ses approvisionnements. Dans cette optique, c’est toute une diplomatie (ou géopolitique) des matériaux qui se développe.
A titre d’exemple, l’UE a signé mi-novembre un accord avec une société minière du Kazakhstan pour deux projets : l’exploration du lithium et un process durable pour le tungstène.
De son côté, après l’Australie plus tôt dans l’année, la France a signé en octobre un accord avec la Mongolie. Il s’agit de mieux comprendre et valoriser les ressources de ce pays en métaux critiques et de mettre en œuvre un projet de prospection satellitaire du lithium. D’autres accords plus « corporate » sont également déployés.
Ainsi par exemple, Imérys a noué fin juin un partenariat avec British Lithium en vue d’accélérer le développement du plus grand gisement de lithium du Royaume-Uni, en Cornouailles, l’objectif étant de produire à terme 20 000 tonnes de carbonate de lithium par an. Et Eramet devrait démarrer en 2024 l’exploitation d’une importante installation en Argentine.
Comme l’a dit la ministre de l’Energie, Agnès Pannier-Runacher, à l’occasion de l’inauguration du pilote Eramet / Suez le 14 novembre dernier, « il est important de ne pas passer d’une dépendance à une autre alors que les métaux critiques sont désormais au coeur de toutes les chaînes de valeur stratégiques de l’économie zéro carbone ». Toutes ces nouvelles législations semblent aller dans ce sens.
1) cf. Critical Raw Material Act (CRMA) présenté le 16 mars avec le règlement Net Zero Industry Act (NZIA), dans le double objectif de parvenir à la neutralité carbone pour 2050 (via le ‘Fit for 55’ en 2030) et de garantir l’autonomie par l’accès et la transformation des matières premières critiques.
2) « Rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière premières minérales », remis au ministère le 10 janvier 2022.
À lire : Valorisation des déchets industriels – identifier ses besoins ?