Délégué régional de l’AFME* de 1982 à 1986, Pierre Radanne fonde et dirige l’Inestene, institut d’évaluation des stratégies sur l’énergie et l’environnement en Europe. En 1997, il entre au ministère de l’Environnement comme directeur adjoint du cabinet de Dominique Voynet. Il est ensuite nommé président de l’Ademe (1998 – 2002) puis rejoint la MIES* en tant que chargé de prospective. Il crée ensuite Futur Facteur 4, bureau d’études spécialisé énergie et climat. Il a également été douze ans président de l’Association 4D. Il revient pour nous sur ces 40 ans de prise en compte de l’environnement.
4 périodes en 40 ans
D’une manière globale, Pierre Radanne distingue quatre périodes durant ces quarante dernières années, plutôt que des évolutions thématiques comme déchets, air, énergie, etc.
Selon lui, il y a d’abord eu toute une phase d’appropriation culturelle : « Plein de gens ont appris un sujet nouveau, sont venus voir ce qu’il s’y disait et faisait. Ils ont appris culturellement les sujets. A l’époque, les ministères, les grands groupes et une foultitude de PME et d’associations étaient déjà en place mais il a fallu passer par cette étape initiatique. Cette période a été marquée par la réalisation de nombreuses études et enquêtes mais peu d’investissements sont faits : c’est resté modeste en termes de flux financiers ». Cette première phase s’achève en 2002.
Puis on a assisté à une phase d’apprentissage. En effet, dès qu’apparaît une question nouvelle dans une société, il y a toujours un temps d’apprentissage qu’on ne peut court-circuiter. Petit à petit, des produits, des méthodes, des protocoles et des référentiels ont été développés. Or le marché de l’environnement étant de compétence européenne, la question de l’ouverture à la concurrence étrangère s’est très vite posée. La Cour de Cassation a dû intervenir sur des ententes entre pouvoirs publics et grands groupes, ententes qui ont pu toucher un certain nombre de PME par définition plus fragiles même si elles avaient de réelles compétences techniques. Par exemple, dans les appels d’offres sur les matériels contre la pollution de l’air, il a fallu ouvrir les marchés.
La troisième phase correspond à une phase d’expérimentation. Durant cette période, selon Pierre Radanne, certaines PME ont fortement grossi. C’est le cas notamment dans le secteur des déchets. En revanche, cela a été beaucoup plus lent dans les économies d’énergie (un peu dans le bâtiment, un peu dans l’industrie, relativement peu dans l’énergie et très peu dans les transports). Après avoir dépassé les phases d’appropriation culturelle, de méthode puis d’expérimentation, on est entré dans la phase du marché de masse, avec un effondrement des coûts technologiques. Pierre Radanne voit cette quatrième phase débuter avec l’Accord de Paris. A ce moment-là, « les choses ont réellement changé de dimension ». Car pour les équipementiers, si tous les pays sont d’accord pour maîtriser l’énergie, développer les renouvelables, gérer les déchets et le recyclage, ces marchés vont devenir mondiaux. Même s’il est trop tôt pour dresser un bilan aujourd’hui, on assiste à une montée en gamme de la part des entreprises. Cela commence à se dessiner dans les énergies renouvelables. Le secteur des transports connaît une véritable mutation culturelle avec la percée du véhicule électrique. L’industrie enregistre d’importants progrès. Et le secteur de la production d’énergie s’y met (alors que Total et Edf étaient réticents à l’Accord de Paris).
De son côté, la finance privée, encore peu concernée, s’est, elle aussi, mise à raisonner : si des marchés considérables s’ouvrent dans le monde, mieux vaut que le secteur bancaire ne soit pas à la traîne… Rappelons que la crise financière de 2008 (Etat, collectivités et certaines banques) a également eu pour conséquence le report dans le temps de l’urgence écologique.
Le climat, une question centrale
Aujourd’hui, on assiste au niveau mondial à un mouvement absolument considérable et inédit dans l’histoire. Jusque-là, dès qu’il y avait un progrès technologique, celui qui le vendait cherchait à consolider sa place de leader (ex. : le Japon avec les appareils photos, les Etats-Unis avec les ordinateurs…) : chacun luttait pour ne pas lâcher son avancée technologique. Maintenant, la question du climat est complètement centrale. Elle est comme la proue du bateau : c’est elle qui fend l’eau en premier et tout le bateau suit derrière… Depuis les rapports du GIEC* et désormais avec l’Accord de Paris, c’est la science qui a constitué une communauté humaine de négociateurs. On a assisté à un bouillon de culture qui a fertilisé les administrations nationales et les entreprises sur plus de 25 ans. Le tout avec une puissance inédite dans l’histoire des technologies.
Et grâce à cela, tout le monde a aujourd’hui une vision du futur qui comprend les économies d’énergie, les renouvelables, le véhicule électrique, le recyclage, l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, la protection des forêts et le stockage du CO2. Même aux Etats-Unis, les deux-tiers des collectivités vont appliquer l’Accord de Paris quand bien même le président l’a renié. Cependant, même si la bataille culturelle est gagnée et que les méthodes tout comme les expérimentations existent, l’intégration de l’environnement se heurte au manque de vision à long terme. La loi TECV* affichait une vision à long terme claire mais sa mise en oeuvre n’est pas si simple : il n’y a pas l’unanimité, pas un engagement de tout le monde. Ceci est le reflet d’une pathologie historique : la France n’a pas de culture de la négociation. Chacun souhaite affirmer sa volonté qu’il considère comme non négociable. Une révolution culturelle est à faire : il faut faire des transactions à durée déterminée. L’idée n’est pas d’abandonner ses convictions mais d’accepter de faire un bout de chemin avec les autres. C’est ce qui relève de la culture de l’escalier : les objectifs (ici : passer de bas en haut ou vis-versa) ne sont pas négociables, l’escalier doit être accessible à tous, ce qui implique une solidarité collective : les plus forts aident les plus faibles.
Ceci s’applique tout à fait dans les questions de transition écologique où il est nécessaire de franchir les étapes pas à pas pour ne perdre personne. Concrètement, on se fixe des objectifs, on en rediscute quelques années puis on se fixe d’autres objectifs et ainsi de suite. Un exemple parlant est celui de la pollution automobile. Si, dans les années 1970, on avait dit aux constructeurs d’émettre 70% de polluants en moins du jour au lendemain, on n’aurait pas réussi. Mais on y est allé marche par marche et aujourd’hui, au niveau européen, les voitures émettent 70% de polluants en moins.
ET POLLUTEC DANS TOUT CELA ?
Le salon Pollutec a joué un rôle absolument considérable sur l’appropriation culturelle et significatif sur l’élaboration de méthodes.
D’année en année, de plus en plus de gens sont venus montrer ce qu’ils faisaient, comment ils passaient à la pratique, pour quels coûts, etc. Mais tant qu’il n’y aura pas de feuille de route claire sur les années à venir, la dynamique peut s’étouffer. Il faut reconnaître que, en France, beaucoup d’expériences ont du succès. Mais le problème, c’est qu’elles se disséminent peu : il manque cette pièce d’assemblage qu’est une feuille de route pour le futur. Un élément clé est que le secteur bancaire devrait être impliqué. Avant de voter une loi, on devrait réunir tous les acteurs concernés et leur demander ce qu’ils mettent au pot. A partir de là, on saurait comment on l’affecte et quelle place on donne à telle ou telle filière.
Pollutec a fait le travail mais pour mettre en route l’ensemble des secteurs, il faut maintenant mobiliser la finance (par exemple, via une conférence financière public-privé) et trouver des accords avec les équipementiers et autres fournisseurs de solutions.
* AFME : Agence française pour la maîtrise de l’énergie – MIES : Mission interministérielle de l’effet de serre – GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – Loi TECV : loi de transition écologique pour une croissance verte