Artificialisation des sols

En août 2021, la loi Climat et Résilience imposait dans ses articles 191 et suivants de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente puis d’atteindre le « Zéro Artificialisation Nette » d’ici 2050. Depuis, cet objectif ZAN ne cesse d’être remis en cause, principalement pour des raisons de méthode.

L’artificialisation des sols a des conséquences écologiques : baisse de la biodiversité, aggravation du risque inondation par ruissellement, limitation du stockage carbone, augmentation des émissions de GES (selon l’Ademe et le Citepa, chaque hectare artificialisé émettrait entre 190 et 290 tCO2). Elle a aussi d’importantes conséquences économiques parmi lesquelles la dévitalisation des territoires en déprise, la baisse du potentiel de production agricole, l’augmentation du coût des équipements…

Après de nombreux textes publiés depuis 1985 (loi Montagne, loi Littoral, loi SRU, loi Grenelle II, loi ALUR, loi ELAN …), la loi de 2021 apporte des objectifs de sobriété foncière et de lutte contre l’étalement urbain, ce qui passe essentiellement par la mobilisation des surfaces déjà artificialisées (friches, locaux vacants)(1) et la préservation et création de surfaces de nature, en particulier dans les villes denses.

Quelques chiffres

D’après le ministère, près de 24 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont urbanisés chaque année en France depuis dix ans. En 2022, l’artificialisation a un peu baissé et a atteint 20 276 hectares, dont 63 % liés à l’habitat, 23 % aux activités économiques (industries extractives ou manufacturières, unités industrielles dans l’énergie, l’eau et les déchets…), 7 % aux infrastructures routières, 1 % aux infrastructures ferroviaires, le reste étant mixte. Mais on est encore loin de l’objectif de réduction par deux qui devrait porter le total à 12 000 hectares par an maximum.

Un objectif double

La loi définit l’artificialisation des sols comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques(2) d’un sol et de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. Elle fixe des objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Elle vise à réduire de 250 000 hectares à 125 000 hectares la superficie des sols artificialisés au détriment des espaces naturels en dix ans puis atteindre l’équilibre entre surfaces renaturées et surfaces artificialisées, et elle vise à améliorer les caractéristiques du sol. La trajectoire fixée s’articule ainsi autour de deux aspects fondamentaux : la maîtrise de l’étalement urbain et la protection des sols vivants.

Cette trajectoire devait d’abord être déclinée dans les documents de planification et d’urbanisme (SRADDET, SDRIF, SAR, PADDUC)(3) avant le 22 novembre 2024. Ensuite, au niveau local, les ScoT et les PLU(4) / cartes communales devront être rendus compatibles avant, respectivement, le 22 février 2027 et le 22 février 2028. Il s’agit donc d’une trajectoire progressive de sobriété foncière. France Stratégie constate que « si toutes les régions sont déjà engagées dans une procédure de modification de leur document pour prendre en compte les obligations de la loi Climat et Résilience en matière de réduction du rythme d’artificialisation, elles n’avancent pas au même rythme du fait, entre autres, de dynamiques territoriales et de ressources foncières mobilisables hétérogènes au sein de leur territoire.

Le ZAN vise un équilibre et non l’arrêt de la construction

L’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols ne signifie pas l’arrêt de la construction quand celle-ci se justifie (besoin de logements, d’activités économiques, de services ou d’équipements). Autrement dit, la trajectoire doit être conciliée avec l’objectif de soutien de la construction durable, en particulier dans les territoires où l’offre de logements et de surfaces économiques est insuffisante par rapport à la demande. L’objectif ZAN à l’horizon 2050 consiste donc en un équilibre entre nouvelles surfaces artificialisées et surfaces renaturées, l’idée étant, en gros, que toute nouvelle surface urbanisée soit compensée par la renaturation d’une surface équivalente.

Plus globalement, la démarche ZAN doit contribuer à inventer de nouveaux modèles d’aménagement durable en couplant sobriété et qualité urbaine. Ceci passe principalement par une densification des opérations d’aménagement et par un renouvellement du foncier en privilégiant l’aménagement des espaces déjà artificialisés.

Des dérogations

La loi compte plusieurs dérogations dont les grands projets d’intérêt national et européen qui sont sortis du décompte d’artificialisation avec une enveloppe de 12 500 hectares réservés. C’est ainsi qu’en avril 2024, le ministère a soustrait 424 grands projets parmi lesquels 167 projets déjà matures (avec calendrier défini) et 267 projets non encore aboutis.

Une loi déjà modifiée

Interrogés par la Fédération des SCoT, les élus estiment que la loi permet d’interroger leurs pratiques d’aménagement (64%), de travailler une stratégie foncière (43 %) et de renforcer la prise de conscience autour des enjeux fonciers (43%). Cependant, pour beaucoup, la loi fixe des règles mais ne propose pas d’outils pour les appliquer. Qui plus est, le besoin en foncier est permanent dans le contexte actuel (cf. logement mais aussi réindustrialisation).

Pour l’Association des Maires de France (AMF), la démarche ZAN n’a pas qu’un côté arithmétique mais elle doit donner aux élus l’occasion de « replacer leur projet de territoire au cœur des débats ». Deux décrets d’application ont ainsi été retravaillés, ce qui a donné lieu à la loi n° 2063-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.

Par ailleurs, en juillet 2024, l’AMF a demandé l’arrêt des obligations issues du dispositif qui ne pourront être respectées dans les délais impartis et la définition d’une méthode permettant de rendre le dispositif « plus cohérent sur les objectifs poursuivis et plus proche des dynamiques et des besoins locaux ».

De son côté, la Commission des finances du Sénat a mis en place une mission d’information pour étudier le financement du ZAN, l’idée étant de mieux connaître les coûts pour proposer des solutions financières adaptées.

Et maintenant ?

Dans son discours de politique générale début octobre, l’ancien Premier ministre Michel Barnier a souhaité réexaminer la réglementation ZAN et libérer du foncier « pour répondre aux besoins essentiels de l’industrie et du logement ». La mission d’information du Sénat a ensuite dévoilé les résultats de ses investigations. Il en ressort que si la nécessité de sobriété foncière fait consensus, les difficultés et blocages sont toujours persistants. C’est pourquoi elle a préconisé non seulement de « renforcer l’accompagnement des collectivités en financement et ingénierie sur la période 2021-2031 et opérer des modifications ciblées pour répondre aux grandes priorités nationales », mais aussi de « dessiner une trajectoire de réduction de l’artificialisation et des modalités de mise en œuvre soutenables, élaborées depuis les territoires, pour la période post 2031 ». Deux des sénateurs impliqués dans cette mission ont déposé mi-novembre une proposition de loi visant à abroger l’objectif fixé à 2031. M. Barnier a ensuite annoncé qu’il soutenait cette proposition, l’idée étant de « faire des ajustements, des assouplissements sur l’application du ZAN » tout en ajoutant qu’il « faudra nous assurer que l’objectif reste effectif ». Notons que les préfets peuvent déjà donner des marges supplémentaires aux collectivités qui en ont besoin immédiatement via la « circulaire des 20 % ». M. Barnier a aussi promis « de modifier les décrets pour que les jardins pavillonnaires ne soient plus comptabilisés comme des surfaces artificialisées et de prendre en compte les nouveaux projets d’envergure nationale et européenne ». Enfin, le 29 novembre, M. Barnier s’est dit « favorable à ce que l’on exempte l’industrie du dispositif pour une période de cinq ans ». En effet, si le secteur industriel représente une part limitée (5%) du foncier, il peut se trouver fragilisé par ces règles dans la compétition internationale pour attirer les investissements. Même le nom ZAN pourrait être éludé et remplacé par « Trace », du nom de la proposition de loi des deux sénateurs.

A suivre donc car le sujet, comme l’ensemble des sujets de la transition environnementale, n’a pas disparu avec la motion de censure…

Le dispositif ZAN : davantage un instrument de sobriété foncière que de lutte contre la dégradation des sols

Dans une note dédiée*, France Stratégie souligne que parmi les principales orientations prises par les régions (ex. : privilégier les territoires dynamiques, dynamiser les territoires industriels, remobiliser les logements vacants, infléchir les tendances passées, donner des perspectives aux territoires ruraux), rares sont celles qui relèvent de considérations environnementales. Pour l’organisme gouvernemental, « en l’état, le dispositif ZAN est davantage un instrument de sobriété foncière que de lutte contre la dégradation des sols ». Il « repose sur des quotas d’artificialisation définis en fonction des surfaces artificialisées. Mais contrairement aux émissions de CO2, la dégradation des sols représente une contamination non uniforme : ses impacts varient selon la qualité et la situation paysagère des sols affectés. Or en se basant uniquement sur des critères quantitatifs de surface, le dispositif ZAN institue une équivalence écologique entre des formes de transformation des sols très diverses : l’artificialisation d’un hectare de zone humide riche en biodiversité et celle d’un hectare de terre agricole polluée et infertile sont alors comptabilisées de la même manière ».

A fin 2023, « si la préservation des espaces naturels, forestiers et agricoles et la restauration des continuités écologiques sont bien des objectifs centraux du ZAN, moins de la moitié des régions ont choisi des critères prenant en compte ces enjeux », précise France Stratégie qui ajoute : lorsqu’ils sont présents, les critères environnementaux visent généralement à préserver des milieux déjà relativement protégés grâce à différents outils (zones Natura 2000, cœur de parc, réserves intégrales, zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique : ZNIEFF, trames vertes et bleues, etc.). Ainsi, la biodiversité ordinaire, les espaces peu remarquables ou bien les zones en déficit d’espaces naturels ne sont absolument pas considérés ». Il note toutefois que « cela pourrait être amené à changer dans un futur proche avec l’adoption, en juillet 2023, du règlement européen pour la restauration de la nature, qui contraint les États membres à restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines ».

*« Objectif ZAN : quelles stratégies régionales ? », Note d’analyse France Stratégie n°129, nov. 2023

1) Selon le MTE, la France compte 170 000 hectares de friches et 1,3 million de locaux vacants et 80 % de la ville de 2050 sont déjà bâtis.

2) Fonctions biologiques, hydriques et climatiques notamment. Par ailleurs, la renaturation d’un sol (ou désartificialisation) consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. Et l’artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnée.

3) SRADDET : Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – SDRIF : Schéma directeur de la Région Ile-de-France – SAR : Schéma d’aménagement régional – PADDUC : Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse.

4) SCOT : Schéma de cohérence territoriale – PLU(i) : Plans local d’urbanisme (intercommunal).

 

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