Depuis des milliards d’années, la rotation de la Terre sur elle-même entraîne à sa surface la succession invariable du jour et de la nuit. Une alternance naturelle qui a profondément structuré l’évolution du vivant par des caractéristiques morphologiques, biologiques ou comportementales permettant à de nombreuses espèces de vivre, se repérer et communiquer dans une obscurité dont dépend largement leur survie.

Or, ces dernières décennies, l’urbanisation massive et croissante s’est accompagnée d’une multiplication des éclairages artificiels nocturnes (habitations, lampadaires, phares de voitures, enseignes lumineuses, etc.). Si elle pose des problèmes en astronomie pour observer les étoiles et suscite des inquiétudes pour la santé humaine, cette pollution lumineuse représente avant tout une menace pour la biodiversité. Elle est en effet un facteur important de disparition et de fragmentation des habitats naturels, mais aussi de mortalité directe des espèces vivant la nuit.

Dans notre quête de préservation de la biodiversité et de l’intégrité des écosystèmes, l’émergence de la notion de Trame noire représente un jalon crucial. Elle apparaît comme une réponse au défi de la pollution lumineuse, une démarche essentielle à la stabilité et à la résilience des écosystèmes sur le long terme, une nouvelle stratégie pour passer des constats à l’action. Au-delà encore, elle représente un important enjeu économique et social pour de nombreux acteurs.

Qu’est-ce que la Trame noire ?

Qu’elles soient vertes, bleues ou noires, les trames sont des corridors écologiques qui constituent un lien naturel entre différents habitats et permettent aux espèces, animales et végétales, de circuler librement, migrer, s’alimenter, se reproduire ou se reposer. Ils visent à préserver et à restaurer un réseau écologique favorable au maintien de la biodiversité. À la différence de ses sœurs, les trames verte (terrestre) et bleue (aquatique), la trame noire prévoit des zones d’obscurité nécessaire à la vie nocturne.

 

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La pollution lumineuse, un danger pour la biodiversité

Pour bien saisir les enjeux de la trame noire, il faut comprendre les impacts de l’éclairage artificiel de nuit sur les espèces animales et végétales. La pollution lumineuse représente en effet un vrai danger pour ces espèces qui dépendent largement de l’alternance jour/nuit et dont certaines sont exclusivement nocturnes pour tout ou partie de leur cycle de développement. Son pouvoir d’attraction ou a contrario, de répulsion, affecte particulièrement les animaux dans leur mobilité et perturbe les comportements de reproduction et de migration de certaines espèces, menaçant alors leur survie. Elle peut également avoir pour conséquences des effets physiologiques irréversibles (maladies, affaiblissements).

Outre une plus grande exposition à leurs prédateurs, certaines espèces d’insectes et d’oiseaux photophiles s’orientent en effet en fonction des étoiles ou de la lune. Attirées par la lumière artificielle, elles perdent leurs repères et se retrouvent en proie à des pièges écologiques. Bloquées dans un territoire hostile sans jamais pouvoir retrouver leur chemin, elles meurent généralement d’épuisement. Une grande majorité d’insectes périssent également, brûlés par la chaleur des lampes. La lumière artificielle est d’ailleurs la deuxième cause d’extinction des insectes après les pesticides.

Chez les lucioles, par exemple, cette pollution lumineuse perturberait les mâles dans leur quête de femelles. Lorsque par chance, ils parviennent à les trouver, ils sembleraient qu’ils attendent encore, pour s’accoupler, une nuit qui ne tombera finalement jamais. A l’opposé, des espèces photophiles, les espèces photophobes, comme les chauves-souris, fuient la lumière qui constitue de ce fait une barrière infranchissable et fragmente leur habitat.

Mais ces espèces ne sont pas les seules à souffrir de la pollution lumineuse : papillons de nuit, amphibiens, araignées, rapaces nocturnes, cervidés, espèces aquatiques et végétales sont aussi concernés. Pendant leur migration saisonnière, les crapauds ne parviendraient pas à traverser les routes éclairées et ne parviendraient pas à transiter de leur zone d’hivernage vers leur lieu de reproduction. L’obscurité conditionne également le métabolisme et le développement des plantes.

La lumière artificielle déclenche par exemple une floraison prématurée qui rend la plante vulnérable au gel par la suite. Un excédent de lumière peut induire un stress chez certaines espèces de plantes et conduire au développement de maladies. La pollinisation se fait par ailleurs essentiellement la nuit, en présence d’insectes pollinisateurs évidemment.

Il en va ainsi de la réalisation du cycle de vie de ces nombreuses espèces (alimentation, reproduction, migration, développement, relation proies-prédateurs, etc.). Notons également que chez l’homme, l’éclairage artificiel nocturne perturbe les rythmes circadiens et la production de mélatonine, nécessaire au sommeil, la réduction de la qualité du sommeil étant reconnue pour les risques de pathologies qu’elle engendre (maladie, affaiblissement général).

La trame noire, une nécessité environnementale

Lorsque la politique Trame verte et bleue (TVB) a été initiée en 2007, la pollution lumineuse n’apparaissait encore que très peu problématique et n’était pas ou peu prise en compte dans l’identification des continuités écologiques. Aujourd’hui, l’effet barrière de la lumière artificielle nocturne et ses conséquences sur la dégradation croissante de la faune et de la flore, sont démontrés et reconnus. Il est ainsi devenu indispensable de préserver et de restaurer un réseau écologique favorisant la vie nocturne : la trame noire.

Dans son guide « Trame noire, méthodes d’élaboration et outils pour sa mise en œuvre », destiné à encourager le développement de la Trame noire dans les territoires de France, l’Office français de la biodiversité (OFB) définit la notion comme « un ensemble connecté de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques pour différents milieux (sous-trames), dont l’identification tient compte d’un niveau d’obscurité suffisant pour la biodiversité nocturne ». La Trame noire devient une démarche complète et complémentaire de la Trame verte et bleue et s’inscrit pleinement dans la continuité écologique.

Les démarches d’identification de ces Trames noires se multiplient sur le territoire afin de préserver les zones d’obscurité nécessaire à la vie de nuit. D’autres démarches visent à les restaurer en agissant sur une gestion raisonnée de l’éclairage artificiel nocturne. La ville de Lille, un des pionniers sur le sujet, en est un exemple avec son projet Tramenoire. La ville de Douai (projet Trame sombre) ou le Parc national des Pyrénées (projet Trame noire) en sont d’autres exemples.

Quelles méthodes d’élaboration de la Trame noire et quels outils de mise en œuvre ?

Les lois Grenelle de 2009 et 2010 ont inscrit la prévention, la réduction et la limitation des nuisances lumineuses dans le code de l’environnement. Le socle réglementaire cadrant la gestion de l’éclairage en France est précisé par un ensemble de décrets et d’arrêtés ministériels : le décret 2011-831 du 12 juillet 2011 relatif à la prévention et à la limitation des nuisances lumineuses, le décret 2012-118 du 30/01/2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes, la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et l’arrêté ministériel du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses.

Cette réglementation de la gestion de l’éclairage se fait toutefois indépendamment de la Trame noire.  Au-delà de cette réglementation, l’éclairage artificiel nocturne doit donc faire l’objet d’une attention particulière au sein des continuités écologiques.

Un guide OFB de la Trame noire et de la lutte contre la pollution lumineuse

Dans son guide, l’OFB propose des définitions, des méthodes et des outils concrets illustrés de retours d’expérience. Elle formule des recommandations s’articulant autour de 3 axes : technique, temporel et spatial.

Axe technique

Il s’agit d’agir sur les caractéristiques des luminaires (hauteur, spectre, flux, etc.). L’OFB préconise par exemple de privilégier les lampes émettant dans un spectre étroit afin de réduire « mécaniquement le nombre d’espèces et de fonctions biologiques impactées ». Elle recommande également d’éviter ou de réduire au maximum les longueurs d’onde nocives comme la lumière bleue. Celle-ci attire particulièrement les insectes nocturnes qui constituent la base de la chaîne alimentaire, dérégule les horloges biologiques et a également un impact sur la santé humaine.

Synthèse des recommandations :

  • Éviter ou supprimer les lampadaires inutiles.
  • Ne diffuser aucune lumière au-dessus de l’horizontale.
  • La hauteur des mâts doit être la plus basse possible pour diminuer leur repérage de loin par la faune.
  • Éclairer strictement la surface utile au sol.
  • Émettre une quantité de lumière la plus faible possible, au spectre le plus restreint possible et situé dans l’ombre, réduire au maximum l’éblouissement pour la faune.

Certaines activités humaines peuvent justifier la présence exceptionnelle d’un éclairage nocturne au sein des continuités écologiques. Le guide liste alors des caractéristiques à intégrer, au-delà de la réglementation, dans la gestion de l’éclairage.

Axe temporel

Il s’agit de planifier l’éclairage dans le temps (horaires, durées, etc.) et de l’ajuster tout au long de la nuit – dès le crépuscule et jusqu’à l’aube, périodes durant lesquelles une majorité d’animaux nocturnes est très active – en ciblant les moments où celui-ci est nécessaire. Notons que l’extinction de l’éclairage en cœur de nuit serait notamment bénéfique pour la flore et les espèces se dirigeant vers le ciel étoilé (oiseaux migrateurs, par exemple).

Diverses technologies de gestion de l’éclairage public des rues (allumage, extinction) peuvent être adoptées. C’est le cas des horloges classiques et horloges astronomiques qui permettent de mettre en place l’extinction, à horaire fixe ou en fonction du lever et du coucher de soleil respectivement. Les cellules photoélectriques quant à elles réagissent et adaptent l’éclairage à la luminosité ambiante. Enfin, les détecteurs de présence permettent de déclencher l’éclairage lors du passage d’un véhicule ou d’une personne.

Axe spatial

Il s’agit d’adapter l’organisation spatiale des points lumineux (densité, position, etc.). Pour cela, l’OFB préconise une gestion différenciée de l’éclairage caractérisé par une diminution de la densité des points lumineux, voire une suppression totale, dans les continuités écologiques et dans les secteurs à enjeux identifiés. Les revêtements des sols sont également à prendre en compte. Selon leur capacité à absorber la lumière émise, ils peuvent en effet en renvoyer une grande partie vers le ciel. « Pour réduire l’impact de la lumière sur la biodiversité dans les secteurs à enjeux, il est (donc) préférable de choisir sous les luminaires des matériaux ayant un faible coefficient de réflexion pour diminuer ce réfléchissement vers le ciel. »

Synthèse des recommandations :

  • Ne pas éclairer les cours d’eau.
  • Ne pas éclairer les espaces naturels adjacents.
  • Maintenir des espaces interstitiels sombres, entre les lampadaires, pour les traversées de la faune.
  • Utiliser un revêtement du sol avec un faible coefficient de réflexion sous les éclairages.

Des fiches Cerema pour rétablir la vie nocturne dans la continuité écologique

Le Cerema propose également une série de 7 fiches techniques complètes : AUBE, Aménagement, urbanisme, biodiversité, éclairage, d’autant plus utiles au regard des enjeux que nous verrons plus loin. Elles portent sur :

  • L’intégration de la biodiversité dans la planification et la maintenance de l’éclairage.
  • L’adaptation de l’éclairage aux enjeux de biodiversité du territoire.
  • L’intégration des enjeux de biodiversité nocturne dans la planification et les outils opérationnels.
  • Le choix d’une source d’éclairage en considérant l’impact de son spectre lumineux sur la biodiversité.
  • La compréhension de l’arrêté ministériel du 27/12/18 relatif aux nuisances lumineuses.
  • La compréhension de la réglementation, des normes et des recommandations en éclairage et publicité extérieurs.
  • L’amélioration de l’acceptabilité de la modulation de l’éclairage grâce à la participation citoyenne, la concertation et la co-construction.

Les outils au service des collectivités et du développement de la Trame noire

Les collectivités territoriales peuvent intégrer leur démarche dans les Schémas directeurs d’éclairage, les Schémas de cohérence territoriale (SCoT), les Plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires SRADETT, notamment.

Des outils tels que l’Atlas de la biodiversité communale (ABC) – permettant notamment de mieux connaître la biodiversité d’un territoire et identifiant les actions à mettre en œuvre – ou les outils contractuels avec les acteurs privés, Autorisation d’occupation temporaire du domaine public et Obligations réelles environnementales (ORE), sont également une précieuse aide pour mener des actions de long terme en faveur de la biodiversité nocturne et mobiliser les différents acteurs.

La Trame noire, quels enjeux en matière d’éclairage public ?

Pour les collectivités territoriales, la Trame noire est une démarche d’autant plus intéressante qu’elle croise de nombreux enjeux : écologiques, de santé humaine, mais également énergétiques et économiques. Sur ces deux derniers points, l’Office français de la biodiversité cite d’ailleurs l’exemple des communes du Parc naturel régional du Gâtinais français à qui une extinction de 6 heures par nuit a permis de réduire leur consommation d’électricité d’environ 40% et d’en diminuer le coût de près de 35%.

Toutefois, l’adoption de pratiques d’éclairage plus respectueuses de la biodiversité nocturne peut soulever un certain nombre de défis en termes de sécurité (des piétons), de résistance au changement ou d’équilibre entre conservation et développement urbain. En cela, la démarche de Trame noire doit être intégrée dans tout projet d’aménagement du territoire.

Par ailleurs, de la même manière que pour la TVB, la mise en place d’une Trame noire doit être concertée et prendre en compte les avis de toutes les parties prenantes. Le sentiment d’insécurité lié à l’obscurité constitue un exemple de frein à l’acceptabilité d’un changement dans les habitudes d’éclairage nocturne (extinction au cœur de la nuit comme diminution de l’intensité).

Des études ou enquêtes peuvent ainsi être menées afin de trouver des leviers à cette acceptabilité. Les actions de sensibilisation, d’information et de valorisation, via le bulletin communal ou le site web, des ateliers, des réunions publiques, conférences ou temps d’échange avec des professionnels de la biodiversité et de la santé, par exemple, jouent également un rôle essentiel pour faire accepter une démarche de Trame noire.

La Trame noire, le croisement des enjeux écologiques, économiques et sociaux.

Dans un contexte d’urbanisation croissante, la Trame noire est devenue un enjeu majeur face à la disparition et à la fragmentation des habitats naturels. Elle est essentielle pour préserver les espèces nocturnes, mais également les autres espèces, homme compris, dont l’équilibre et la santé dépendent largement de l’alternance jour/nuit.

Pour les collectivités territoriales, notamment, c’est un outil de planification, qui permet à la fois de préserver les corridors écologiques nocturnes et d’agir sur la gestion de l’éclairage artificiel, une formidable opportunité de réduire les risques liés à la santé humaine, de diminuer la consommation énergétique et in fine d’œuvrer efficacement en faveur du vivant.

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